«SWAN LAKE / Loch na hEala»: une belle découverte au Grand Théâtre de Luxembourg. Un «Swan Lake» venu d’Irlande, signé par le chorégraphe Michael Keegan-Dolan. Il s’agit de la première production de sa toute nouvelle compagnie, Teac Damsa («Maison de la danse» en irlandais). Mais l’artiste a une longue carrière derrière lui et est associé au Sadler’s Well de Londres. Là, on est entre gens connus et les valeurs sûres.
Ce «Swan Lake» est le genre de spectacle qui ne cherche pas à en mettre plein la vue. Pourtant, son agencement est tel qu’il parvient à créer une alchimie unique, à la fois déroutante et touchante, née d’une écriture chorégraphique maîtrisée à tous égards. Y transparaît la sensibilité singulière d’un artiste servi par d’excellents interprètes : un acteur (Mikel Murfi), trois musiciens folk, neuf danseurs (dont Alex Leonhartsberger dans le rôle de Jimmy et Rachel Poirier dans celui de Finola).
Le programme ne peut pas prendre les spectateurs au dépourvu. Il est clairement indiqué que ce «Swan Lake» est une réinterprétation du ballet mythique. Pas de Tchaïkovski donc, mais une musique originale aux intonations folks irlandaises avec violon, violoncelle, banjo, flutiau, voix et percussions. Sur une estrade surélevée en arrière-plan, les musiciens ponctuent de leurs interventions l’histoire qui nous est racontée, un peu à la manière d’un chœur antique qui commente l’action sans jamais la monopoliser. C’est l’une des réussites de ce spectacle.
Drame contemporain
Le récit est mis en scène dans une alternance de séquences théâtrales et dansées. Michael Keegan-Dolan s’est inspiré de la légende irlandaise des enfants de Lir, transformés en cygnes par leur belle-mère. Il a puisé aussi du côté du ballet classique en créant le personnage de Jimmy (alter ego de Siegfried) et de Finola (Odette). Celle-ci est victime non pas d’un sort jeté par le sorcier von Rothbart mais d’un viol perpétré par le prêtre de son village.
En 70 minutes, le chorégraphe crée un monde où s’entremêlent le drame contemporain et un univers orinique troublant – dans lequel on peut voir l’expression de la personnalité sensible et dépressive de Siegfried. Le génie de la pièce tient à la manière imperceptible dont Keegan-Dolan déplace les personnages sur scène en explorant ses trois dimensions, joue avec les lumières et le son pour faire basculer les ambiances, parvient à façonner des personnages différenciés avec une économie de moyens.
La touche folk irlandaise est là naturellement, apportant la folie de ses danses endiablées. L’histoire oscille entre burlesque et tragédie, avec au centre ce couple d’innocents emporté dans la tourmente. La fin du récit reste, comme dans le ballet classique, ouverte. A chacun d’y inscrire sa propre écriture d’un beau trait de plume…
Marie-Laure Rolland