Retour à l’école pour les danseurs de Corps in Situ

par Marie-Laure Rolland

C’est une première au Luxembourg et, par chance, elle a pu être pratiquement menée jusqu’à son terme. Avant le confinement, la compagnie Corps In Situ, de Jennifer Gohier et Grégory Beaumont, a été accueillie en résidence au Lycée Vauban. L’expérience a permis à des élèves de s’initier à la danse contemporaine et d’être associés à un processus de création.

À l’heure où le hip hop tient le haut de l’affiche chez les ados, leur proposer de s’initier à l’univers de la danse contemporaine ne va pas de soi. On peut même dire qu’il s’agit d’un sacré défi. Mais parfois, les planètes s’alignent et il faut savoir saisir sa chance. Marie-Laure Vécrigner, professeur d’éducation sportive au Lycée Vauban et passionnée de danse, rêvait depuis des années d’inviter une compagnie de danse contemporaine en résidence dans son établissement. «Mon fils prend des cours de danse avec Grégory Beaumont. J’ai appris que sa femme, Jennifer Gohier, travaillait sur un projet de danse autour du karaté avec leur compagnie Corps In Situ. C’est exactement le genre de thématique autour de laquelle on peut bâtir un projet pédagogique. Nous avons pris contact et Jennifer a été enthousiaste», témoigne-t-elle.

Il lui aura fallu une année pour mettre sur pied le projet, avec le soutien de sa collègue documentaliste, Rachel Guelen, de la chorégraphe Jennifer Gohier, de son lycée et du Centre de création chorégraphique du Luxembourg (TROIS-CL). Dès le mois de juin 2019, les emplois du temps des cours de sport du lycée ont été calés de manière à rendre possible ce projet de résidence.

Si le Covid-19 n’a pas permis d’aller complètement au bout du projet, qui devait s’étaler entre la mi-février et fin avril, une belle dynamique est née, autour de trois axes. Plus de 400 élèves – de la maternelle au lycée – ont rencontré les danseurs professionnels accueillis pendant deux semaines en résidence de création de Projet K. Grégory Beaumont a donné 20 heures de cours (sur les 40 prévues) aux élèves de deux classes pilotes. Une exposition d’affiches sur la danse contemporaine s’est déployée au Centre de documentation, pour favoriser une découverte plus large de cette discipline.

Le dialogue du sport et de l’art

«J’ai trouvé ça génial alors qu’à la base, la danse contemporaine n’est pas vraiment mon truc. C’est souvent un peu n’importe quoi…», confie Rafaël, 16 ans, que nous rencontrons à l’issue d’une séance d’initiation avec Jennifer Gohier et ses deux danseurs, Youri de Gussem et Ville Oinonen. Il fait partie de l’une des deux classes choisies pour participer au programme. Rafaël avait déjà eu l’occasion de revoir ses idées préconçues lors d’une soirée au TROIS-CL, au mois de décembre 2019. Les élèves et leurs professeurs avaient pu y découvrir un extrait de Projet K. «C’est un spectacle autour du karaté. J’ai adoré. Et puis, après la présentation, on a pu parler avec l’un des danseurs, Youri de Gussem. Il est super sympa!»

Héloïse pratique le hip hop. Elle a trouvé l’expérience de la danse contemporaine «intrigante» tandis que sa copine, Donia, qui pratique la danse classique et le jazz, a apprécié de «découvrir d’autres mouvements de danse à partir des arts martiaux». Mais elle observe que l’expérience n’était pas évidente pour tous. Ce que confirme un camarade: «Moi j’ai besoin de me défouler. On n’a que deux heures de gym par semaine. Alors j’aime autant faire un sport de balle en plein air», dit-il en se ruant vers la sortie tandis que sonne le signal de la fin du cours.

Les élèves n’ont pas été les seuls à profiter de l’initiation. Le programme du Lycée français prévoit que les classes de seconde (troisième luxembourgeoise) suivent obligatoirement un enseignement sportif à caractère artistique, à savoir la danse ou les arts du cirque. Le lycée, qui a emménagé il y a deux ans dans un bâtiment flambant neuf dans le quartier de la Cloche d’Or à Luxembourg, dispose désormais d’une  salle spacieuse et lumineuse, spécialement équipée pour la danse, mais aussi d’une salle de spectacle. Or tous les professeurs de sport n’ont pas été formés aux disciplines artistiques. «Pour nous, c’est intéressant de voir comment des danseurs professionnels enseignent la danse. Cela nous donne des pistes pour nos cours», commente Fabrice Guissart, dont une classe a participé au projet.

Un devoir de transmission

«La transmission fait partie de l’ADN de la compagnie Corps In Situ», souligne la chorégraphe Jennifer Gohier qui développe ses projets entre la région Grand Est en France, et le Luxembourg. «Avec un projet comme celui-là, on se sent utile. On n’est pas juste dans un studio à répéter un spectacle pour un public qui a déjà tous les codes de compréhension en main», ajoute-elle. «J’ai essayé d’expliquer que la danse n’est pas seulement faire de beaux mouvements. C’est aussi une manière de savoir utiliser son corps», confie pour sa part Youri de Goussem qui a profité de l’occasion pour se joindre aux jeunes pendant leurs cours d’escalade.

Si les deux semaines de résidence de la compagnie ont été enrichissantes, elles ont aussi été intenses pour les danseurs qui ont enchaîné les cours, les rencontres avec des élèves de tous âges, et des répétitions de leur spectacle. Le 6 mars, dix jours avant le début du confinement, ils ont pu en présenter une version «en développement» devant 200 élèves – de la maternelle au bac – mais aussi des profs et parents. La séance de questions/réponses qui a suivi aura témoigné de l’engouement pour la pièce. Un feedback encourageant avant qu’elle n’entre dans sa phase de finalisation.

D’ores-et-déjà, il a été décidé de renouveler l’année prochaine, sous la même forme, le partenariat entre le TROIS-CL et le Lycée Vauban. «Ce qui va certainement changer, c’est d’ouvrir les ateliers aux élèves les plus motivés par la danse contemporaine», indique Marie-Laure Vécrigner. Un clip réalisé cette année par les élèves de l’option Cinéma permettra de promouvoir le projet au sein de la communauté scolaire.

 Le Centre chorégraphique de son côté va faire un appel à candidature auprès de compagnies pour la saison prochaine. «Nous envisageons d’y répondre», dit Jennifer Gohier qui est «très attachée à ce projet pour les valeurs qu’il défend».

Marie-Laure Rolland

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