La Maison pour la danse s’ouvre timidement au hip-hop

par Marie-Laure Rolland

Deux des trois pièces de la nouvelle cuvée du programme « Emergences » du Centre de création chorégraphique sont signées par des chorégraphes de la scène hip-hop luxembourgeoise. Une première qui pose un jalon, sans aller jusqu’à bousculer l’esprit du lieu.

par Marie-Laure Rolland

La scène du hip-hop, qui a fêté en 2023 ses 50 ans, n’a pas attendu la Maison pour la danse pour prendre son envol au Luxembourg. Il est quand même étonnant qu’elle n’ait pas été invitée plus tôt rue du Puits, alors que depuis plus d’une dizaine d’années les hybridations venues de la scène hip-hop ont un peu partout fait exploser les cadres institutionnels (qu’on pense au collectif La Horde à la tête du Ballet de Marseille).

C’est donc avec une certaine curiosité que j’ai assisté à la sixième édition du programme des Émergences, qui offre une plate-forme de soutien à de jeunes chorégraphes. Pour la première fois, à côté de la danseuse contemporaine Ioanna Anousaki, des danseurs de hip-hop étaient à l’affiche : Alicia Cano et Benoît Callens en duo, mais aussi Norah Noush.

La soirée aura montré que les volontaires ne manquent pas pour se confronter à l’exercice chorégraphique et tenter de faire bouger les lignes. Leurs premiers pas devront encore s’affirmer, mais le courage et l’audace étaient là pour se lancer dans la bataille de l’écriture personnelle.

Lâcher prise

La belle surprise de la soirée est The In Between de Norah Noush. La danseuse luxembourgeoise de hip-hop, qui s’est formée à Berlin et à Londres, signe et interprète cette pièce en duo avec Nora Hertwig. L’ambition est de nous plonger  «dans la quête de la recherche d’identité et du conflit qui naît au sein de la dualité qui peut nous habiter et les différentes influences sociales et sociétales qui nous affectent » (d’après le livret trop ésotérique distribué au public).

Son entrée en matière est forte. Les deux danseuses, vêtues d’une même tenue de sport, sont collées l’une derrière l’autre, telles un corps siamois dont les deux têtes entament un ballet marionnettique réglé au millimètre, un genre de break dance immobile. L’effet est d’autant plus étrange et saisissant que la chevelure rousse et ébouriffée de Nora Hertwig surplombe et tourne autour du crâne brun tressé-serré de Norah Noush.

L’étau se desserre progressivement jusqu’au bas des corps, à mesure que ceux-ci aspirent les pulsations et l’énergie de la musique house signée Zakaria Nouih. Cette superbe bande son, colorée et contrastée, a déroulé un tapis rouge pour Nora Noush et sa partenaire. Leur danse, ample et rythmée, a fait vibrer le studio.

Dommage que les jeux de lumière, mal dosés, aient par moment stoppé la dynamique par des ruptures d’ambiance brusques et difficiles à intégrer pour le public soudainement éclairé, sans trop savoir pourquoi. La création lumière aura d’ailleurs été le point faible des trois pièces ce soir-là. Le trop est souvent l’ennemi du bien, a fortiori dans un studio qui ne dispose pas des installations les plus performantes.

Tenir

Alicia Cano et Benoît Callens dans « Echos infinis » (photo: Bohumil Kostohryz)

Alicia Cano et Benoît Callens ont choisi de profiter du programme des Emergences pour tester une approche plus « contemporaine », et donc conceptuelle de leur danse. On est loin de l’univers théâtral de Patchwork du collectif  KnowEdge, ou de Dans’Être du collectif K+A, où on pouvait voir toute leur technicité de danseurs de hip-hop. C’était audacieux de leur part, et tant pis pour ceux qui attendaient l’énergie débridée de la danse urbaine.

Leur postulat de départ dans leur pièce intitulée Echos infinis : ne jamais se lâcher les mains. Toute la gestuelle se décline autour de cette contrainte soulignée par leurs corps vêtus de noir, avec les avant-bras dénudés qui se détachent sur le fond noir du studio.

Comme dans The in Between, cela commence par des corps fusionnels. Ceux-ci gagnent progressivement de l’espace individuel tout en restant accrochés l’un à l’autre. Malgré l’inventivité des combinaisons élaborées, la vitesse d’exécution le soir de la Première manquait encore de vélocité, ou au moins de ruptures de rythme, pour tenir l’attention du public pendant 20 minutes. Le concept pourrait donc être poussé plus loin.

Réfléchir

Ioanna Anousaki danse avec Malcolm Sutherland RORETRA, une pièce physiquement et techniquement exigeante,  écrite sur des extraits de différentes œuvres de Bach.

« RORETRA » de Ioanna Anousaki avec Malcolm Sutherland (photo: Bohumil Kostohryz)

RORETRA questionne des principes autour desquels s’articulent aussi bien la géométrie que l’art chorégraphique, à savoir la rotation, la réflexion et la translation. Cela m’a bien sûr fait penser à l’œuvre d’Anne Teresa de Keersmaeker, qui s’est beaucoup penchée sur la question et dont plusieurs pièces donnent à voir ces dynamiques par des dessins au sol.

Dans RORETRA, il n’y a aucun repère visible. C’est donc sans filet pour les interprètes, et sans indice pour le public, que les deux interprètes se sont lancés. Quant à dire où il était question de réflexion et de translation, je dois dire que cela m’a un peu échappé.

Danser sur du Bach est un défi que peu d’artistes relèvent dans le temple de la danse contemporaine qu’est le TROIS-CL. C’était donc une belle surprise. Les variations de cette playlist ont donné aux danseurs l’occasion d’explorer différents langages gestuels, allant d’un style néo-classique jusqu’à des séquences d’improvisations. On peut néanmoins se demander si les extraits musicaux choisis n’étaient pas trop contrastés puisque cela allait du prélude pour piano seul à l’écrasante Passion de Saint Mathieu avec orchestre et chœur. Il fallait du souffle pour faire face à celle-ci et les danseurs ont donné  l’impression d’en manquer in fine, dans la petite boîte noire du studio.

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