Il fallait le voir communier avec son public à la fin de Driven, sa toute nouvelle création au Studio du Grand Théâtre de Luxembourg: en transpiration mais le sourire aux lèvres, accueillant les joyeux applaudissements du public. Jean-Guillaume Weis a beau avoir annoncé qu’il quitterait la scène après cette pièce, le virus de la danse est encore bien actif chez ce danseur de 49 ans. Une euphorie touchante, authentique, qui atténue ce qu’il faut bien appeler une déception au niveau de la chorégraphie.
Dans la note d’intention de cette création, il est question d’explorer les ressorts de la créativité. Un beau paquet surprise ouvre le spectacle. Il s’agit du «Pas de quatre du Lac des cygnes» revisité pour neuf danseurs, dont six marionnettes. Accrochées par un habile jeu de portants et de baguettes sur les membres des trois artistes sur scène, celles-ci dansent en rythme et dans un bel ensemble. La magie de la scénographie de Trixi Weis opère, en mêlant habilement la citation d’une œuvre mythique du répertoire et l’ironie à l’égard du carcan du ballet classique.
A l’autre bout du spectacle répond comme en apothéose finale une séquence de danse jubilatoire sur fond de slogans : «HAVE FUN – JUST DANCE ! ». N’y a-t-il pas là l’essence même de la danse, semble nous dire Jean-Guillaume Weis auprès de ses deux jeunes camarades, Jean-Baptiste Hilbert et Malcolm Sutherland ?
Plusieurs belles séquences filmées par Catherine Dauphin, distillées tout au long de la pièce, font entrer dans la danse aussi bien des danseurs professionnels actifs au Luxembourg que des jeunes amateurs sélectionnés par l’intermédiaire du Service National de la Jeunesse. Pas d’exclusive. Pas de caste ni de hiérarchie. Ici, tout le monde a sa place.
Génération Z
Ce parti pris se tient. A l’heure des nouvelles technologies et de l’interactivité, les spectateurs apprécient de ne pas rester stoïquement assis sur leurs sièges et veulent aussi entrer dans la danse. La génération Z est participative. Encore l’idée aurait-elle pu être poussée plus loin en jouant davantage sur le dialogue entre l’écran et la scène.
Celui-ci est rare, à tel point que l’on a parfois l’impression qu’il s’agit de permettre aux danseurs de souffler entre deux extraits vidéos. La seule séquence en miroir offre de voir sur l’écran Jean-Guillaume Weis lors d’une résidence de création au Baryshnikov Arts Center de New York en 2012, tandis que sur scène se déroule une chorégraphie pour trois danseurs. Problème: on est vite captivé par la séquence vidéo – où le chorégraphe semble vouloir nous rappeler ce qu’il fût il n’y a pas si longtemps – tandis que sa variation sur scène semble un peu laborieuse.
Les scénettes s’enchaînent en une succession de situations plus ou moins humoristiques. Le fil rouge est le personnage vieillissant qui s’interroge: puisqu’il n’est plus au top de sa forme, quelle alternative au métier de danseur peut-il envisager? Il se fait magicien, musicien ou s’efface parfois pour laisser ses deux jeunes partenaires s’exprimer, cela sans réelle cohésion au niveau du langage chorégraphique.
La question de la transmission
Cela peut paraître généreux, mais on ne peut s’empêcher de penser que l’on passe là à côté de la véritable transmission, celle qui a fait de Jean-Guillaume Weis le danseur qu’il a été et que, à bien des égards, il reste encore. Il n’a plus l’endurance ni le tonus de ses camarades, mais il dégage de sa présence scénique, de ses simples gestes, une forme d’évidence et de grâce inscrites au plus profond de ses fibres. Or tout cela tient à des années de pratique, d’exigence, d’excellence au sein de compagnies comme celle de Pina Bausch ou de Mark Morris. A la volonté d’atteindre ses limites voire de les dépasser. Ce qui n’est malheureusement pas le cas ici. Faute de temps et de budget, soit, mais aussi peut-être du fait d’une certaine routine qui peut engourdir la volonté et la créativité.
On peut regretter la décision de Jean-Guillaume Weis de ne plus danser sur scène – comme vient aussi de l’annoncer, à 42 ans, Akram Khan. Mais on peut aussi y voir un mal nécessaire pour s’investir plus intensément dans son travail de chorégraphe. Un beau défi!
Marie-Laure Rolland