La danseuse et chorégraphe était à l’affiche d’une soirée du Monodrama Festival dans In Memoriam, une pièce vibrante et débridée autour de notre rapport à la mort.
par Marie-Laure Rolland
On pouvait la croire définitivement envolée vers d’autres horizons – la politique avec son mandat de conseillère communale de la ville de Luxembourg, la modération d’émissions pour Arte, des ateliers pour public à besoin spécifique – eh bien elle n’avait pas dit son adieu à la scène ! Avec In Memoriam, on a pu retrouver une Sylvia Camarda en pleine forme physique et créative, une performeuse qui n’a rien perdu de la flamme qui l’anime.
En voyant émerger sa silhouette à la blancheur spectrale dans le cube noir de la Maison pour la Danse, je me suis demandé si cette apparition était une résurrection de l’artiste chorégraphe ou une simple visitation, histoire de mettre les points sur les i face à la jeune génération d’artistes qui fréquentent les murs de cette institution dont elle est désormais membre du Conseil d’administration.
Sa performance souligne à quel point l’essentiel, pour se connecter avec le public, tient dans l’authenticité de la démarche plutôt que dans le respect de certains canons institutionnels. Autrement dit, il importe de rester fidèle à soi-même en résistant au formatage qui peut découler des cases à cocher pour obtenir des subventions.
La danse de Sylvia Carmarda ne ressemble à rien d’autre car elle est étroitement liée à sa personnalité, son physique, ses émotions et ses combats. Derrière son côté un peu fourre-tout, inclassable, se dégage ainsi un fil rouge marqué par la prédilection pour les solos mais aussi l’expressionnisme, une physicalité débridée, le goût de la provocation et de la prise de risque, dans une alternance de pièces qui oscillent entre l’intime – How do They Know that They are the Last Human on Earth (2012), Warrior of Beauty (2012) – et le politique – Absolutely Fabulous (2005), Conscienza di terrore I et II (2009), America du bist so Wunderbar (2009) ou encore le très actuel Ex(s)ilium or Down the Rabbit Hole (2017) sur la tentation totalitaire. Vingt ans après sa première pièce, intitulée Crash (2004), où elle mettait en scène un accident de voiture, son exploration de notre rapport à la mort dans In Memoriam présente une artiste qui a vécu, mûri, pris de la hauteur mais qui garde en elle le côté débridé de ses jeunes années.
Icône pop
La danseuse émerge en blanc dans un puit de lumière (Karl Humbug) qui ouvre la boîte noire du studio comme on éventre un cercueil. On la découvre en jean déchiré, body, veste en strass. Sa silhouette, figée face au public, s’anime sous le flux de la musique électronique dans des gestes mécaniques, marionnettiques, ponctués de cris contenus bouche grande ouverte. A mi-chemin de la figure du danseur de butoh et de l’icône pop, elle nous ouvre les portes d’un voyage intérieur dans les entrailles du deuil, au seuil du néant ou de la rédemption qui nous attend au bout de la route.
C’est un chemin plein de surprises, non balisé, qui peut donner le tournis. On navigue dans le registre de l’abstraction avant de voir évoquer des histoires de maladie, de vieillesse, de suicide. Puis on part dans une dimension onirique où se réinventent des rituels nécessaires pour soigner sa douleur et se réconcilier avec sa condition de mortel.
En regardant cette pièce, j’ai eu l’impression de voir une équilibriste sur le fil de l’abîme. Il ne faudrait pas grand-chose pour qu’elle s’y précipite et pourtant elle parvient à le garder à distance, entraînant avec elle le public non seulement comme témoin, mais aussi comme garde-fou.