Quatre mains, un caméraman et un accessoiriste entraînent les spectateurs dans une épopée miniature orchestrée par la compagnie belge madebyhands.
Par Marie-Laure Rolland
Un détour par les Rotondes est rarement décevant. On y découvre toujours des pépites dédiées au « Jeune public » qui peuvent tout aussi bien combler leurs aînés. C’était encore le cas récemment avec Du bout des doigts, une pièce signée par Gabriella Iacono et Gregory Grosjean.
Ces deux artistes sont d’anciens collaborateurs de la chorégraphe belge Michèle Anne de Mey et du cinéaste Jaco Van Dormael, créateurs des inoubliables Kiss & Cry et Cold Blood que j’ai pu voir il y a une dizaine d’années au Grand Théâtre de Luxembourg.
Du bout des doigts est fortement inspirée de leur univers poétique et cinématographique qui filme des mains dansantes pour créer des personnages et des histoires. Ici, la mise en scène est quand même moins spectaculaire. La dramaturgie, plus simple, fonctionne néanmoins tout aussi bien et peut toucher un plus large public.
L’idée de ne faire danser que les doigts est intéressante à plus d’un titre. D’abord parce que les mains sont des éléments du corps un peu trop délaissés en danse contemporaine, sans doute en réaction à la codification de la danse classique d’occident ou d’ailleurs. Elles ont pourtant un potentiel expressif phénoménal.
Se focaliser sur les mains, c’est aussi montrer que la contrainte de ne pas utiliser d’autres parties de son corps – une sorte de handicap choisi – n’enlève rien à la force créatrice, et peut même la stimuler.
A cet égard, il me semble que ce parti pris aurait gagné à être porté tout au long de la pièce. Le spectacle s’ouvre pourtant sur la recréation (certes intéressante) par Gabriella Iacono d’un extrait d’une danse serpentine de Loïe Fuller, que j’avais déjà vue en archive vidéo mais jamais sur scène. Cette danseuse américaine de la fin du XIXème siècle, considérée comme l’ancêtre de la danse contemporaine, maîtrisait à merveille les effets spéciaux disponibles à l’époque, jouant des éclairages et des miroirs pour faire éclore dans ses grands mouvements de bras voilés fleurs ou papillons. C’est une pièce qui relativise la notion de « contemporanéité », tant elle garde toute sa fraîcheur, plus de 100 ans après sa création.
Échappée poétique
Après cette entrée en matière, on distingue quelques silhouettes sombres dans le noir. Mais c’est surtout l’écran en fond de scène qui capte le regard. On comprend que l’image projetée provient des manipulations des silhouettes penchées sur une sorte de plan de travail à tiroirs multiples, d’où vont sortir une succession de décors et d’accessoires miniaturisés. Une caméra mobile filme en plan macro les mains des danseurs qui explorent ces paysages, tels des acteurs d’une comédie musicale sans frontière de lieu ni de temps.
La puissance poétique de la mise en scène et en images permet de revisiter quelques moments clés de l’histoire de la danse, sur fond d’une histoire de l’humanité qui renvoie aussi des échos plus sombres surgis des camps de concentration ou de la guerre du Vietnam. On passe de la grotte de Lascaux sur la musique du « Sacre du Printemps » de Stravinsky aux rues de New York sur un rythme jazz, avec un détour par le parquet d’une salle de bal où résonne le « Lac des cygnes » avant que les personnages n’atterrissent un peu plus loin sur une piste de Hip Hop.
On y croise des empreintes de main, une plume, un skate board, de la neige, de la fumée. Et la danse, qui n’a cessé d’accompagner les hommes depuis les premières traces laissées dans les grottes préhistoriques, relie le tout dans son tourbillon.