Dans le bruit et la fureur du monde, vient un moment où se fait sentir un impérieux besoin de calme, de recueillement. C’est ce que nous propose Still, la création de Juan Kruz Diaz de Garaio Esnaola pour deux danseurs, une soprano et un joueur de luth. Sa pièce, comme hors du temps, nous entraîne dans une méditation mélancolique où se ressourcer.
La tonalité de la pièce doit beaucoup au choix de la musique de chambre venue des 16èmeet 17èmesiècle, une époque entre renaissance et baroque où la réalité de la condition humaine se voilait dans une poésie pudique et délicate. L’homme n’a pas changé. Il est toujours soumis à l’inexorable temps qui passe et à sa condition de mortel, aux amours impossibles, aux amitiés et aux rivalités. La mélodie des chansons de l’Anglais Robert Dowland, des Français Jehan Chardavoine et Pierre Guédron, des Espagnols Juan del Encina et Alonso Mudarra, des Italiens Tarquino Merula et Girolamo Fescobaldi, est portée par la voix claire de la soprano Robin Johannsen, pieds nus et vêtue de blanc. On peut regretter que les paroles n’aient pas été traduites en langage moderne, ce qui aurait davantage éclairé certaines scènes.
La scénographie, par son minimalisme, concourt à la sensation d’épure qui ressort de cette pièce. Il s’agit d’un cube noir sur lequel se détachent des petits galets de polystyrène accumulés au pied de chaises en bois. Ces points blancs sur fond noir confèrent du relief à l’espace qui se transforme à mesure que les galets sont dispersés par les mouvements des personnages. Ils servent aussi d’accessoires sonores lorsque les pieds écrasent la matière ou lorsqu’une pluie de grêle semble s’abattre sur le plateau.
Respirations
La pièce s’ouvre par l’entrée de la chanteuse sur une scène plongée dans la pénombre. Celle-ci s’éclaire progressivement sur trois hommes vêtus de noir, endormis par terre ou sur des chaises. Magnus Andersson se saisit de son luth pour accompagner la chanteuse. La danse ensuite se déploie en contrepoint avec les deux danseurs au sol qui, progressivement, se redressent. Leurs évolutions sont lentes, très tactiles. Il n’y a guère ici de course qui donnerait l’impulsion nécessaire pour les sauts. C’est chez l’autre, cet alter ego, qu’il faut aller puiser l’énergie du mouvement.
L’apogée de la pièce est une splendide scène de procession solennelle. Joel Suáerez Gómez porte la chanteuse en tenue virginale, assise sur l’une de ses épaules, au son du luth, du tambour et des grelots qui font écho à ses pas.
Les séquences se succèdent dans des fondus enchaînés au ralenti, qui laissent aux protagonistes sur scène comme au public dans la salle le temps de la respiration et de la contemplation. Rien de spectaculaire, mais une impression de temps suspendu avec, parfois, de brefs mouvements d’accélération ou de rupture spatio-temporelle sur le ton de l’humour et du jeu. Comme si cette parenthèse qu’est la vie ne méritait pas que l’on prenne tout au tragique, les humeurs étant solubles dans une mélancolie somme toute réconfortante.
Marie-Laure Rolland