Sylvia Camarda entre au Conseil d’administration du Centre de création chorégraphique du Luxembourg mais, malgré le changement de logo et de statut, les perspectives de l’institution restent floues avec un périmètre réduit et des moyens financiers limités.
par Marie-Laure Rolland
Il est urgent d’attendre. Telle est l’impression que pouvait donner la réception de Nouvel An organisée lundi 15 janvier au TROIS-CL en présence du nouveau ministre de la Culture, Eric Thill et du Premier conseiller Jo Kox, qui prendra sa retraite le 18 juillet 2024. Aucune annonce forte, pas d’intervention du ministre et pour cause : c’est seulement deux jours plus tard, mercredi 17 janvier, qu’a été signée en Conseil de gouvernement la nomination des membres des Conseils d’administration des nouveaux établissements publics du secteur culturel, parmi lesquels le TROIS-CL (avec le Mudam, le Casino Forum d’art contemporain, le Théâtre National du Luxembourg, les Rotondes).
Depuis sa création il y a 30 ans jusque fin 2023, le Centre chorégraphique a fonctionné en tant qu’association, sous la présidence de Robert Bohnert, ancien directeur du Lycée de Diekirch. A 78 ans, celui-ci a été confirmé à son poste du président du Conseil de l’établissement public. Parmi les autres « historiques » on retrouve Christiane Eiffes, ancienne professeure du Conservatoire de Luxembourg et cheville ouvrière de l’émergence de la scène de la danse contemporaine au Luxembourg. Karin Kremer, ancienne directrice du Mierscher Kulturhaus et trésorière de l’association, conserve son poste d’administratrice.
Signe du changement de régime, la vice-présidence du Conseil d’administration va à Vesna Andonovic, ancienne journaliste culturelle du Luxemburger Wort, désormais chargée de mission pour la danse et les arts numériques au ministère de la Culture. La danse n’était pas son secteur de spécialité mais elle a eu le temps de prendre la mesure de son périmètre. On la voit régulièrement sur le terrain.
Bouffée d’oxygène
La principale surprise parmi les nouveaux venus est l’arrivée de Sylvia Camarda, danseuse, chorégraphe et conseillère municipale de la Ville de Luxembourg. Cela fait belle lurette que cette forte personnalité et talentueuse artiste n’a plus mis les pieds au TROIS-CL, où les programmes de soutien à la création contemporaine visent surtout les chorégraphes émergents ou les projets expérimentaux. Elle mène des projets alternatifs hors les murs avec des danseurs non professionnels, notamment en partenariat avec la Fondation EME.
On peut penser que son arrivée va apporter une bouffée d’air frais au sein du Conseil même si elle ne pourra pas intervenir sur la ligne artistique fermement tenue par l’inamovible directeur artistique Bernard Baumgarten, en place depuis 2007 et en contrat à durée indéterminée.
Il faut noter que cette question de la durée des mandats des directeurs artistiques n’a pas été réglée par les nouvelles lois créant les établissements publics culturels. Pour les artistes, il s’agit pourtant d’un point crucial pour garantir la vitalité de la scène artistique, a fortiori dans un petit pays où il n’y a pas beaucoup d’alternatives si on n’est pas dans la ligne officielle.
Un périmètre qui se réduit
Les moyens à disposition du nouvel établissement public TROIS-CL, dont le nom est désormais augmenté de l’appellation « Maison pour la danse », sont de facto limités. Cela soulève la question de son potentiel de développement dans les années à venir. On est loin de l’effervescence qui a suivi l’année européenne de la Culture en 2007, où tout était encore à construire.
Depuis 2023, le Centre chorégraphique a perdu son budget de financement de la création qui lui permettait de coproduire des pièces, sur sélection par un jury indépendant international. C’est désormais le ministère de la Culture qui gère exclusivement l’attribution des subsides pour le secteur de la danse. Une commission composée de fonctionnaires ou employés de l’État statue sur les projets à soutenir ou non.
On notera que le président Robert Bohnert avait tenté par le passé de s’opposer à ce transfert de compétences ainsi qu’au changement de statut du TROIS-CL. En vain. Une autre pilule avait été difficile à avaler pour l’association : le transfert au profit du nouvel Art Council Kultur.lx d’une partie de l’activité de soutien à la diffusion internationale des pièces de danse.
Au moins le TROIS-CL, qui emploie cinq personnes, aura-t-il pu garder un budget stable à hauteur de 520.000 euros (2024), essentiellement pour financer des actions de formation, d’accueil d’artistes en résidence et de promotion. Cela en fait le plus petit établissement public du ministère de la Culture, avec une dotation guère plus élevée que celle de l’Orchestre de Chambre du Luxembourg (asbl).
Le maintien de Robert Bohnert à la présidence de l’institution a ramené celui-ci à de meilleurs sentiments : «Après des rounds de boxe avec monsieur Kox, on s’est réconcilié et on peut le remercier pour tout ce qu’il a fait pour le secteur de la danse», a-t-il dit lors des vœux de Nouvel An. Il est vrai qu’avec la complicité de l’ancienne ministre de la Culture Sam Tanson, Jo Kox a pu introduire le conventionnement de compagnies de danse en vue de leur structuration (245000 euros de subsides en 2024), et développer les bourses d’aide à la création.
Consultations
Le ministre Eric Thill de son côté arrive en néophyte et indique vouloir prendre le temps de rencontrer les acteurs avant de se faire une meilleure idée du cap à définir pour le TROIS-CL. « Le nouveau statut d’établissement public va permettre de continuer à professionnaliser le secteur. Le travail réalisé ici au cours des trente dernières années est une promotion fantastique pour le pays. Je suis fan d’écouter la vision du TROIS-CL et je pense qu’on fera de belles choses ensemble dans le futur ! », a-t-il confié lors d’un entretien.
Il dit avoir conscience que le TROIS-CL ne représente pas l’ensemble de la scène de la danse au Luxembourg. « Je vais aussi voir les autres acteurs, les accueillir au ministère et étudier ensemble quelles sont les priorités pour l’avenir ».
En attendant, de facto, le TROIS-CL – Maison pour la danse conserve essentiellement le volet formation et médiation comme axe de développement. Or il n’est pas le seul sur ce créneau. Il faudra voir comment le nouvel établissement public parviendra à se différencier sans empiéter sur les plates-bandes des conservatoires ou des autres acteurs publics et privés du secteur de la danse, qui chercheront certainement à défendre leur pré carré.