Un magnifique quatuor de danseurs a investi la scène de opderschmelz pour la création de Blast. Emanuela Iacopini, Frey Faust, Yuko Kominami et Saju Hari entraînent le spectateur dans un voyage où ils explorent les multiples manières d’exploser, mais aussi de se recomposer.
La première mondiale de Blast aurait dû se dérouler en septembre dernier en Turquie, dans le cadre du festival du CerModern Arts Center à Ankara. Elle a finalement eu lieu à Dudelange, dans un écrin modulable débarrassé de ses gradins pour disperser le public sur des chaises ou canapés répartis dans la salle, à « bonne » distance les uns des autres, pandémie oblige. Aussi le titre de la pièce, qui signifie « explosion », y résonnait-il d’une dimension particulière.
Cela étant, l’intitulé est équivoque, et l’on a vite pu s’en rendre compte. Blast n’est pas une pièce explosive qui cherche à secouer ou impressionner le spectateur. C’est plutôt l’itinéraire introspectif d’un quatuor de danseurs à travers différentes atmosphères sonores et lumineuses qui suggèrent des explosions, qui donnent à voir leur potentiel de métamorphose. Ce voyage envoûtant, tout en fluidité, est maîtrisé sans être cadenassé, cohérent tout en laissant place à l’inattendu.
En immersion
La très belle musique électronique, composée par Rajivan Ayyappan, est l’élément structurant de ce voyage coloré d’influences asiatiques, africaines et occidentales. On y entend les échos d’environnements naturels (pluie qui tombe dans une forêt peuplée d’animaux, tremblement de terre, souffle cosmique) mais aussi artificiels (crépitement de feu d’artifice, staccato d’une mitraillette, décollage d’hélicoptère, techno de boîte de nuit…). Au calme succède la tempête, à la déflagration la recomposition. Ces alternances, justement dosées, rythment la dramaturgie de la pièce.
Durant une heure, les danseurs sont immergés dans le flux sonore, tels une seule entité faite de quatre membres dont parfois s’échappent des solos, duos ou trios. La cohésion d’ensemble fonctionne, bien que les interprètes viennent d’horizons chorégraphiques très différents. Deux d’entre eux ont déjà collaboré avec Emanuela Iacopini : la danseuse de buto Yuko Kominami ainsi que le danseur américain, créateur de la méthode basée sur l’ »‘Axis Syllabus », Frey Faust. S’est joint à eux le danseur indien venu de l’univers des arts martiaux, Saju Hari.
Leur écoute réciproque donne naissance à de splendides figures de groupe, souvent réalisées au ralenti. Les corps semblent ne faire qu’un, pivotent à l’unisson tandis que les membres en perpétuel mouvement se déploient de manière autonome, se frôlent sans se toucher. L’exercice rappelle certaines chorégraphies de Sasha Waltz, maîtresse en la matière mais ici, le tempo andante apporte une profondeur qui compense l’absence de spectaculaire.
Et puis vient l’inattendu, la dissonance qui relance les dés, comme ce solo de Yuko Kominami qui s’échappe du groupe, telle une excroissance soudain livrée à elle-même, oscillant de l’extase à l’angoisse. Son langage gestuel, qui puise dans le buto, se libère du groupe pour s’exprimer de manière autonome. Parenthèse vite refermée. Le groupe se recompose pour reprendre sa trajectoire.
La beauté du geste
La pièce est portée par un casting de danseurs confirmés – le plus jeune a 41 ans, le plus âgé 60. Ce qui ne les empêche pas de se prêter à l’exercice des portés, des jetés au sol, des sauts et extensions. Leur danse ne va jamais dans l’excès mais ne donne pas non plus l’impression d’être confinée. Les bras, souvent levés au ciel, se déploient dans des dynamiques circulaires qui s’appuient sur un jeu de jambes et de pieds souple et précis. La gestuelle des danseurs se détache sur les plis soyeux du tissu suspendu en fond de scène, conçu par Nico Tremblay et illuminé par le dispositif de lumières led contrôlées par ordinateur, imaginé par l’artiste Laura Minelli.
La pièce a été créée dans des conditions très particulières du fait du confinement. Les danseurs ont travaillé en partie à distance, avec seulement quatre semaines physiquement ensemble (lors de résidences au Portugal, Italie et Luxembourg). Cela explique sans doute quelques imprécisions dans les mouvements d’ensemble au début de la pièce, le jour de la première. Le quatuor est encore à l’affiche le jeudi 19 novembre au CAPE d’Ettelbruck, en espérant que les frontières se réouvriront pour lui donner le temps de se déployer sur d’autres scènes. Alors que les celles-ci sont encore ouvertes au Luxembourg, courrez-y !
Marie-Laure Rolland