Etrange maison que celle où nous entraîne Harold Pinter. Et surtout, comme elle nous semble familière, plus de soixante ans après avoir vu le jour. «The Hothouse», revisitée par la metteuse en scène Anne Simon, est une comédie grinçante, portée par un excellent casting multidisciplinaire et, ce qui fait sa singularité autant que sa force, remarquablement immersive.
par Marie-Laure Rolland
Comme pour les personnages, la pièce n’offre pas d’échappatoire aux spectateurs. On est installé sur des chaises pivotantes au milieu de la scène du Studio du Grand Théâtre, transformé en une sorte de hall de sanatorium par la magie d’une spectaculaire scénographie signée Anouk Schiltz.
Derrière des portes verrouillées, le long de la passerelle qui surplombe le hall, sont cloîtrés des pensionnaires que l’on ne verra pas. C’est Noël. Mais la fête est gâchée par l’annonce de deux grains de sable dans la mécanique huilée qui régit l’institution : un meurtre et une naissance.
Très vite, on comprend que cet endroit est une zone de non-droit, comme on dit aujourd’hui, régi par des règles kafkaïennes et mené par un patron en fin de règne, l’ancien colonel Roote (Dennis Kozeluh). A l’absurdité du système répondent les névroses des êtres qui sont à son service. Leurs abords policés s’effritent à mesure que la soirée avance. Mais toujours, on s’interroge si cela va basculer dans le burlesque ou dans le drame. Cet état d’exception est-il bien sérieux ?
Roote est assisté par deux adjoints, l’insaisissable Lush (Marie Jung) et le zélé Gibbs (Daron Yates), lequel complote en coulisses pour faire tomber son patron avec Miss Cutts (Céline Camara). On y croise aussi une jeune recrue naïve, Lam (Danny Boland), et un homme à tout faire (le pianiste Bol Berlardi qui signe la musique de la pièce tout en gérant la réception du sanatorium).
Comme toujours chez Pinter, les fils qui relient et enserrent ces différents personnages vont se dévoiler par petites touches. Le comique y entre pour une bonne part mais Anne Simon ne force pas le trait. Ses personnages, à l’exception du naïf Lam, ne sont pas dupes du système. Toute la question est de savoir ce qu’ils vont en faire. Cela offre aux acteurs de grands moments de répertoire que Dennis Kozeluh et Marie Jung en particulier manient avec brio.
Génie des lieux
L’une des trouvailles d’Anne Simon est la création d’un personnage muet qui ne figure pas dans la distribution originale, mais qui apporte un incontestable relief à la pièce. Incarné par le danseur Georges Maikel, c’est une sorte de génie des lieux qui, par sa gestuelle, fait résonner l’étrangeté de cette atmosphère faite de non-dits, de souffrance, de délire, de pulsions de vie et de mort. Cette silhouette est invisible aux yeux des autres personnages, elle reste à la marge de l’action principale mais est néanmoins bien présente.
Le dispositif scénique implique aussi un engagement physique du spectateur. Les protagonistes s’activent et circulent en permanence autour des différentes pièces qui encadrent le hall où on est assis. Il faut donc sans arrêt pivoter sur son siège, pencher la tête si la vision est masquée par un spectateur dans l’axe, choisir son positionnement, suivant que l’on préfère se concentrer sur l’action principale ou un détail alternatif. Ce rôle de témoin actif et de personnage passif nous place en fin de compte dans la même posture que les invisibles pensionnaires qui nourrissent la machine de cet établissement carcéral.
L’effet d’immersion est renforcé par la sonorisation, faite de bruitages où résonnent canalisations et machines à vapeur. Elle enveloppe les spectateurs tout autant que les personnages. Cette atmosphère baigne un lieu qui regorge d’objets ou ustensiles bizarres. Une baignoire à vapeur, un téléphone en bakélite, des lampes à bras articulés, des casiers à rangement d’inspiration industrielle, un pulvérisateur à usage botanique et un tas de babioles confèrent à la mise en scène une touche vintage 50’s, rappel de l’époque à laquelle Pinter a écrit la pièce.
Son propos incisif sur les mécanismes d’oppression et les dérives qu’ils entraînent, lui, n’a rien perdu de sa puissance tragi-comique ni de sa pertinence.
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