« Ecological Anxiety Disorder » : plongée dans l’envers du décor

par Marie-Laure Rolland

Il faut un certain courage pour thématiser un sujet pareil, à l’heure où la pandémie de Covid-19 écrase l’actualité et où la population est plutôt en quête de « feel-good emotions ». La nouvelle création de la compagnie Eddi van Tsui, très réussie, trouve le juste ton pour nous rappeler l’urgence écologique.

par Marie-Laure Rolland

«Ecological Anxiety Disorder » est une sorte d’odyssée des temps modernes en forme de pièce de théâtre musical et dansé. Quatre personnages font une traversée, semée de tentations et d’embûches, en direction du septième continent, ce vortex de plastique qui flotte dans le Pacifique. Ils veulent s’implanter au cœur du chaos pour tenter de guérir l’océan de l’asphyxie qui le guette.  

On retrouve dans cette pièce la marque de fabrique de la compagnie franco-luxembourgeoise Eddi van Tsui, qui réunit Sandy Flinto à la mise en scène, Pierrick Grobéty pour la création et l’interprétation musicale, et Daniel Marinangeli pour les textes ainsi que  la dramaturgie. Au sein de la compagnie gravitent des collaborateurs artistiques fidèles: Petrit Jung pour le light design (avec ici Nina Schaeffer), Giovanni Zazzera et Baptiste Hilbert pour la danse, Valérie Stammet pour le chant. Leurs spectacles, pluridisciplinaires, nous immergent dans des sujets d’actualité qui font débat. Le résultat n’a pas toujours été à la hauteur des attentes mais leur grand mérite et d’avoir su créer, au fil du temps, une véritable identité artistique. Ils en récoltent aujourd’hui les fruits.

Une humanité à la dérive

Sur scène évoluent quatre danseurs (Baptiste Hilbert et Giovanni Zazzera mais aussi deux nouvelles venues, Deborah Lotti et l’excellente Eva Aubigny) et deux musiciens (le multi-instrumentiste Pierrick Grobéty et la chanteuse soprano, de plus en plus à l’aise sur scène, Valérie Stammet).

La réussite de la pièce tient en grande partie à la création sonore et musicale. Elle est la structure sous-jacente de ce voyage scénique, tout en servant de balise aux spectateurs. Sa puissance évocatrice nous entraîne sur les océans ou dans ses abysses, nous fait entendre les sirènes tentatrices et les chants festifs des embarqués volontaires. Elle laisse aussi la place aux textes lus en voix off par Piera Jovic et Denis Jousselin et remixés, tels des échos lointains de notre civilisation. Avec un minimum de moyens (une contrebasse électronique, un aquarium sonorisé, une voix, une loop station), habilement dosés et combinés, l’effet suggestif est puissant.

« Ecological Anxiety Desorder » de la Cie Eddi van Tsui (photo: Bohumil Kostohryz)

La première scène s’ouvre sur un plateau recouvert de bidons et autres objets de plastique, poussés par un homme en tenue de balayeur. La sonorisation crée l’illusion que les mouvements du balai déplacent une mer jonchée de  détritus, lesquels vont tomber au pied de la scène. Il y a un côté prophétique dans cette vision d’un homme marchant sur l’eau pour tenter de la purifier.

La pièce se développe comme une parenthèse fantastique entre deux séquences – familières à chacun – de beach-volley sur une plage. L’atmosphère lumineuse du début bascule dans la pénombre, comme si nous étions plongés  dans les profondeurs marines où les lumières sont filtrées. On y rencontre une ballerine en tutu, des saupoudreurs de particules, des filets dérivants dans lesquels se prennent des hommes-poissons, une baigneuse hystérique, des aventuriers dans le brouillard. Les danseurs se glissent naturellement dans différents costumes et personnages, dans une succession de scènes bien rythmées et enchaînées. Le vocabulaire gestuel laisse la place à la libre expression de chacun tout en soulignant à la cohésion du groupe.

Il m’a semblé y croiser l’innocent marchand de sable des contes de mon enfance – soudainement transformé en disséminateur de particules plastiques – , Ulysse aux prises avec le chant des sirènes – ou la tentation de céder aux plaisirs immédiats de notre société de consommation – , le radeau de la méduse – métaphore de la galère collective dans laquelle nous nous trouvons – ou encore les personnages errants qui hantaient la précédente pièce de Sandy Flinto et Pierrick Grobéty, Art.13 – eux aussi en quête de terre d’accueil.

Autant de séquences que chacun peut faire résonner avec son vécu ou ses questionnements, sans lecture imposée ou moralisatrice.  

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