Pourquoi Mourad Merzouki nous fait planer

par Marie-Laure Rolland

Viendra ? Viendra pas ? Au petit jeu des reports et annulations de spectacles qui fait le quotidien des théâtres, on pensait ne pas voir la compagnie Käfig de Mourad Merzouki cette année. Rageant, quand on sait qu’il était programmé à la fois à Esch – avec Boxe, Boxe, Brasil – et Luxembourg. Un ultime rebondissement – le désistement de Hofesh Shechter, coincé en Angleterre – nous a valu de découvrir Vertikal sur la scène du Grand Théâtre de Luxembourg. Le maître du hip-hop nous transporte durant 80 minutes dans un jeu enivrant avec la apesanteur.

par Marie-Laure Rolland

Vertikal (créée en 2018) est une pièce où s’exprime la maîtrise de l’un des pères fondateurs du hip hop en France, fort de 25 années d’expérience durant lesquelles il n’a cessé d’ouvrir sa discipline à d’autres expressions. Ce spectacle, extrêmement bien construit et interprété, confronte le hip-hop – danse du sol par excellence – à la danse verticale. Le dispositif a été mis en place grâce à la complicité de Fabrice Guillot, le fondateur de la compagnie Retouramont qui a fait des techniques aériennes la base de son langage chorégraphique.

Cette création est beaucoup plus stimulante que Pixel (2014), la pièce que Mourad Merzouki avait présentée lors de son dernier passage au Grand Théâtre, en 2018. Pixel faisait dialoguer les danseurs avec des projections numériques. Le propos était spectaculaire mais trop corseté par les contraintes techniques pour permettre au langage chorégraphique de s’épanouir et de dialoguer de manière équilibrée avec les tableaux pixellisés projetés en fond d’écran.

Démultiplication

Dans Vertikal, le dispositif technique est au cœur du spectacle mais il n’en est pas le sujet. C’est un accessoire scénographique qui démultiplie les possibilités du mouvement, en supprimant cette donnée fondamentale de la danse qu’est la gravité. La pièce est construite comme un jeu d’apparition et de disparition, de danse au sol et d’apesanteur, d’interactions entre les  interprètes dont on ne sait jamais trop combien ils sont au casting. Ils surgissent de piliers monumentaux et mobiles, percés d’ouvertures sur les côtés latéraux.

Ce qui subjugue est l’inventivité, la précision mais aussi le naturel avec lesquels les danseurs aériens dialoguent avec ceux qui restent au sol. Les différentes techniques se fondent pour s’enrichir mutuellement et donner naissance à toutes sortes de figures singulières. Nous ne sommes pas dans le show off mais on ressent comme une jubilation à voir ainsi les corps délivrés de l’entrave de la gravité et repousser les limites du possible. La technique de hip hop y gagne, en légèreté et grâce, ce qu’elle cède en force brute. Une déclinaison moins terre-à-terre, plus planante quoi que très physique – et extrêmement bien interprétée.

Il n’y a pas de récit mais une succession de tableaux portés par une musique qui navigue du lyrique ou mélodramatique en passant par l’onirisme – avec des cordes, des claviers et des percussions qui se conjuguent à l’électro. Le fond de scène se peint de couleurs contrastées, chatoyantes ou mates, qui soulignent les atmosphères sonores.

À l’issue du spectacle, les dix danseurs de la compagnie vibraient de l’émotion de la représentation. La compagnie Käfig de Mourad Merzouki est basée en France, où les scènes sont toujours fermées au public. Aussi chaque opportunité de se produire prend-elle une saveur particulière pour les compagnies venues de l’hexagone.

Rappelons qu’à ce jour, seules 100 personnes sont autorisées à entrer au Grand Théâtre de Luxembourg. La standing ovation finale n’avait pas la puissance de celle d’une salle sold out. Mais le cœur y était.

 

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