Elle se fait rare au Luxembourg, Carolyn Carlson. Nous n’avons pas le souvenir d’y avoir vu ces dernières années un spectacle de cette Américaine qui a marqué de son empreinte la danse contemporaine française et européenne depuis les années 1970. Crossroads to Synchronicity, programmée au Théâtre d’Esch, a permis de découvrir une pièce emblématique de son univers poétique.
Six danseurs sont sur scène dans cette chorégraphie qui nous propulse dans une sorte d’espace-temps déconnecté de repères stables. Le cube noir s’ouvre en fond de scène sur une fenêtre à barreaux derrière laquelle sont projetées des vidéos en noir et blanc. On y reconnaît les danseurs dans des mouvements au ralenti. A côté, une porte rouge, parfois éclairée, s’ouvre et se ferme pour laisser entrer ou disparaître les danseurs. On entend en bruit de fond comme le roulement d’un train lancé dans la nuit.
Les danseurs évoluent dans ce cadre à l’atmosphère surréaliste et mystérieuse où la chorégraphe a semé des objets – bassine, roues de voiture, table et chaises, portes qui se déplacent, fusils de chasse – comme autant d’indices. Sommes-nous dans une maison figurant l’intériorité des personnages ? Dans le train de leurs souvenirs qui se succèdent, se télescopent, se superposent ? La « poésie visuelle », qui fait la marque de fabrique de Carolyn Carlson, peut s’exprimer là dans toute sa force. A chacun d’y imprimer sa propre imagination ou son propre vécu pour la faire résonner.
La tentation du bavardage
Les trois femmes – pieds nus, cheveux longs détachés et vêtues de robes de satin – et les trois hommes – en pantalon noir et veste sur torse nu – investissent l’espace dans une chorégraphie d’une grande fluidité, portée par une musique où se mêlent habilement les tubes des seventies chers à Carolyn Carlson – de Bob Dylan à Bruce Springsteen – mais aussi des chanteurs contemporains comme Bon Iver ou le baroque Henry Purcell.
Une suite de scénettes entraîne les danseurs dans des courses poursuites ou des mouvements d’ensemble d’une belle synchronisation, mais ce sont surtout les solos des femmes qui frappent par leur expressivité, la précision et la richesse de leur vocabulaire gestuel qui nous font explorer une gamme insoupçonnée d’émotions.
L’ensemble est bien ficelé par une chorégraphe dont l’oeuvre compte une centaine de pièces – ce qui lui a valu d’être couronnée par un Lion d’Or à la Biennale de Venise. Malheureusement, elle n’a pas résisté au risque du bavardage. On finit par se lasser de ce récit qui avance de digression en digression, sans véritable boussole, au risque de nous perdre en chemin. La pièce, créée en 2017 pour revisiter une première oeuvre intitulée Synchronicity (2012), dure 1h20 et aurait gagné à être allégée d’une vingtaine de minutes.
Marie-Laure Rolland