Nouvelle escale du Red Bridge Project autour d‘Anne Teresa de Keersmaeker à la Philharmonie de Luxembourg. Une soirée exigeante mais qui restera certainement dans les mémoires de ceux qui ont assisté… jusqu’au bout. L’Ensemble intercontemporain sous la direction de Matthias Pintscher était invité à interpréter l’une des œuvres phares d’Olivier Messiaen: «Des canyons aux étoiles» (composée entre 1971-1974, à l’occasion du bicentenaire de l’indépendance américaine). 100 minutes de voyage musical grandiose à travers les paysages de l’Ouest américain, qui nous entraîne du fond des canyons sculptés par le temps aux cieux étoilés et mystiques.
Certains considèrent l’œuvre de Messiaen incompréhensible et indigeste. Le décryptage en première partie de soirée par Jean-François Zygel aura permis d’offrir au public les clés de l’univers de Messiaen, «compositeur-ornithologue» fasciné par les chants d’oiseaux qu’il n’a eu de cesse d’essayer de sublimer musicalement.
Panneaux de signalisation
Le rapport avec Anne Teresa de Keersmaeker? L’œuvre musicale était accompagnée d’une création visuelle de l’artiste Ann Veronica Janssens, partenaire de longue date de la chorégraphe flamande. On les retrouve d’ailleurs toutes les deux dans le projet Work/Travail/Arbeid présenté les 14 et 15 avril 2018 au Mudam.
Ann Veronia Janssens est connue pour ses interventions minimales qui ouvrent des portes vers des horizons insoupçonnés. Ici, le minimalisme tient à ce que ses jeux de lumière ne se manifestent que lors de trois des douze parties de l’œuvre de Messiaen. Il s’agit de projection de bulles colorées de différentes tailles et couleurs. Un peu comme des gommettes jaunes, rouges, vertes, blanches ou violettes qui viendraient se loger tantôt dans une tour à droite de la salle, tantôt au plafond, tantôt dans un recoin à gauche de la scène. Une seconde d’exposition et puis elle disparaît, presque aussi vite qu’elle est apparue.
On peut y voir un clin d’œil facétieux d’Ann Veronica Janssens à Messiaen qui était synesthésique et associait chaque son à une couleur spécifique. Mais pourquoi le choix des passages les plus méditatifs – le solo de cor, «Les Ressuscités et le Chant de l’étoile d’Aldébaran» ou encore la pièce finale, «Zion Park et la Cité céleste» – pour se prêter à ce jeu? Pour le spectateur, l’effet est à peu celui de panneaux de signalisation qui clignoteraient au passage d’un vaisseau interstellaire. On se demande soudainement ce qu’ils viennent faire là. L’écoute en est perturbée sans que la pièce ne gagne en profondeur.
Marie-Laure Rolland