Les liaisons inspirantes de Jean-Guillaume Weis

par Marie-Laure Rolland

2020 a été une année blanche pour le chorégraphe Jean-Guillaume Weis, comme pour bon nombre d’artistes. Lui a eu la chance de pouvoir mettre les bouchées doubles en 2021. Après Sehnsucht au mois de mars – autour d’un texte de l’écrivaine Elise Schmit –  c’est surtout 3×20, une magnifique pièce créée avec le vibraphoniste Pascal Schumacher, qui retient l’attention.

par Marie-Laure Rolland

Jean-Guillaume Weis fait partie de ces artistes qui ont le feu sacré et dont la flamme couve toujours sous la semelle, après plus de trente ans de carrière. Cette passion est une croix, quand vient le doute ou l’échec, mais aussi la forge d’où, parfois, jaillit la grâce.

Le chorégraphe était lumineux dimanche, à Esch. On comprend pourquoi. Après Sehnsucht, qui laisse un peu l’impression d’avoir survolé le sujet dans le cadre trop étriqué de la scène du TNL, sa nouvelle création, 3×20, est une vraie réussite.

Bien sûr, certains pourront pointer quelques longueurs ici, un peu trop de brouillard sur scène là, mais incontestablement cette création est à placer dans son panthéon artistique. C’est une pièce vibrante de sa sensibilité, de son esthétique, de sa maturité chorégraphique, portée par une très belle complicité avec le compositeur Pascal Schumacher mais aussi de magnifiques interprètes. De quoi régaler les amateurs de danse pure. 

Echos et résonances

Un cadre fixe les contours et les points de passage de cette rencontre entre quatre musiciens et quatre danseurs. 3×20, ce sont trois séquences de vingt minutes qui se déroulent dans un cube noir, avec pour seuls accessoires des spots accrochés au plafond et un alignement de points lumineux fixés au sol.

La première séquence fait la part belle à la musique composée par Pascal Schumacher et interprétée par quatre musiciens, disposés en fond de scène. Lui-même est au vibraphone, accompagné de Sophie Uhrhausen à l’alto, Anik Schwall au violoncelle et Sylvain Rifflet aux clarinettes. Cette combinaison de textures est extrêmement riche, comme le soulignent les variations de l’atmosphère sonore au fil de la pièce. Les registres expressifs font le grand écart, du minimalisme jusqu’au néo-romantisme.

La danse entre presque par effraction dans cette première partie qui joue sur la discontinuité. Les mouvements sont esquissés, les danseurs entrent et sortent rapidement de scène. Il n’y a pas de mouvements de groupe mais des électrons libres qui se croisent, restent à distance.  Les bras dénudés des danseurs semblent se détacher des corps vêtus de noir et plongés dans la pénombre du cube. Il en ressort une impression de légèreté, d’évanescence.

Dans la seconde partie, les musiciens disparaissent de la scène. Ne nous parvient plus que l’écho électronique de leur musique, distordu par un mixage aux sonorités plus sombres, parfois grinçantes – et qui manque d’un peu plus de relief pour tenir l’attention des spectateurs durant 20 minutes. La danse prend son envol, faisant la part belle aux duos, aux sauts et aux portés.

« 3×20 » de Jean-Guillaume Weis (Photo : Bohumil Kostohryz)

Le retour de la musique acoustique dans la dernière partie fait comme ressurgir la couleur dans cette boîte noire, libérant un peu plus encore l’énergie des danseurs.  La cohésion des membres du quatuor monte d’un cran. Ils se touchent, dansent à l’unisson, avec toujours de grands mouvements de bras, des lignes des corps qui fouettent ou découpent l’espace.

Pour la beauté des gestes

Il n’y a pas vraiment de tension dramaturgique, comme on les trouve dans les pièces de danse-théâtre signées par le chorégraphe. C’est de la danse pure, pour la beauté des gestes, incarnée par de superbes interprètes dont Jean-Guillaume Weis parvient à magnifier les qualités. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas réuni un casting aussi en phase avec son propos. Elisabeth Schilling impressionne par sa présence scénique, par sa longue et souple silhouette capable de gestes extrêmement précis et rapides. Le petit gabarit d’Anna Senegnoeva électrise la scène  par l’intensité de sa gestuelle, laquelle contraste avec le calme puissant qui émane de Youri de Gussem. Enfin, comment ne pas voir dans Gijs Pieter Hanegraaf une sorte d’alter ego de Jean-Guillaume Weis, tant le danseur est parvenu à intégrer jusqu’au plus profond de ses fibres musculaires le vocabulaire gestuel du chorégraphe. C’en est troublant.

À quoi tient la réussite d’une création artistique ? « 10% d’inspiration et 90% de transpiration » m’avait répondu le compositeur Alexandre Mullenbach, à qui j’avais un jour posé la question. J’y ajouterais le talent, que dans sa modestie il n’avait pas cité. Mais 3×20 souligne combien les moyens mis à disposition peuvent décupler le potentiel d’une pièce. Ici, la création chorégraphique s’est doublée d’une création musicale interprétée en live par un quatuor d’excellents musiciens. Une conjonction (trop) rare au Luxembourg.

3×20 a été coproduite par le Théâtre d’Esch et le CAPE d’Ettelbruck, où elle est encore à voir le 12 mai. Un rendez-vous à ne pas manquer !

 

 

Vous aimerez aussi

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.