Dans sa nouvelle création, la plus intime à ce jour, la chorégraphe et danseuse entraîne le spectateur dans une pièce en forme de méditation touchante et inspirante
par Marie-Laure Rolland
Créer, c’est donner naissance à quelque chose. Un processus qui n’est pas sans analogie avec la maternité pour Emanuela Iacopini, danseuse, chorégraphe, pédagogue et mère de deux enfants (14 et 9 ans) qu’elle a eus avec le compositeur et complice de longue date, Rajivan Ayyappan. Tous deux ont conçu le solo Mother comme un hommage à ce même désir créatif qui les anime, un désir profond, viscéral, nécessaire qui a donné naissance à sept pièces depuis l’ouverture de leur Studio Vedanza à Luxembourg en 2006. La première représentation de cette nouvelle création a eu lieu dans le cadre du Monodrama Festival à la Banannefabrik de Luxembourg, où il fallait une bonne dose de motivation en ce mois de juin surchauffé pour entrer dans le studio non climatisé.
Il y a plusieurs façons de se regarder dans le miroir. À 49 ans, Emanuela Iacopini dévoile sa maturité aussi bien de chorégraphe que de mère et parvient à trouver le juste équilibre dans cet exercice métaphorique.
Le cadre de la pièce est essentiel, avec une scénographie minimaliste et captivante imaginée par Rajivan Ayyappan, qui signe aussi la musique. Emanuela Iacopini ne crée par seule. Cette fusion des imaginaires et des sensibilités se donne à voir avec une projection vidéo qui recouvre le sol du va-et-vient de vagues bleues turquoises sur un sable immaculé comme on en voit dans l’Océan indien.
L’eau circule dans les haut-parleurs, créant une atmosphère rafraichissante. La musique oscille entre des séquences méditatives et hyptoniques, d’autres plus vives et colorées. Il règne une atmosphère de calme et de volupté dans laquelle vient s’immerger la silhouette longiligne d’Emanuela Iacopini, vêtue d’une tenue courte vert émeraude (signée Anne-Marie Herkes) qui contraste avec les pavés de glaise rouge dispersés ça-et-là, tels des rochers au fond de l’eau.
Lâcher-prise
Mother est, sur le plan formel, un exercice de transformation dont je ne vais pas davantage dévoiler les éléments. D’autant que le résultat est, d’une certaine manière, prévisible et que le chemin pour y parvenir est balisé. Tout comme une grossesse. Son intérêt naît de la manière dont se met en place, par petites touches, une dynamique qui finit par nous entraîner dans son flux.
La pièce d’une quarantaine de minutes assume la lenteur de la dramaturgie et le côté répétitif de la gestuelle. Ce parti pris est exigeant pour le spectateur contemporain habitué à zapper entre les images de ses écrans. Il lui faut se mettre au rythme du processus créatif, freiner ses impatiences, lâcher-prise tandis que la danseuse est à la manoeuvre.
Il y a aussi un côté surréaliste si on se place du côté de l’artiste, quand on sait le rythme effréné auquel la plupart d’entre-eux doivent produire pour pouvoir survivre. Au moins peut-on y lire une aspiration à maîtriser le temps.
Toujours est-il que le calme, la sérénité et la beauté qui règnent sur le plateau sont de subtils mais puissants facteurs qui parviennent progressivement à faire résonner l’alchimie de la pièce. La glaise s’anime sous les mains ou les pieds de la danseuse et ne demande qu’à palpiter. Sa gestuelle est horizontale, ancrée au sol, souple, enveloppante, réfléchie, évoquant on ne sait quel animal aquatique primitif. Il en émerge des images, des sensations fugaces et intenses, porteuses d’une symbolique forte suggérant une même énergie primordiale à l’oeuvre dans l’acte créatif de l’artiste et la maternité.
Dans Blast (2020), Emanuela Iacopini faisait exploser la structure avec une certaine jubilation. Dans We Thought We Knew What We Were Doing (2023), elle décidait avec ses partenaires de défier le chaos. Dans Mother, elle récupère les morceaux épars, les assemble avec la détermination tranquille de ceux qui ne craignent pas de se jouer des éléments. Une pièce en forme de méditation touchante et inspirante.