Le cœur à corps d’Isaiah Wilson et Sarah Baltzinger

par Marie-Laure Rolland

Ils forment un couple sur la scène comme dans la vie. Dans Megastructure, Isaiah Wilson et Sarah Baltzinger exposent leur relation amoureuse dans une chorégraphique acrobatique pimentée d’auto-dérision. Un exercice de style aussi surprenant que convaincant.

Par Marie-Laure Rolland

Se mettre en scène en tant que couple avec son partenaire dans la vie ne va pas de soi. On voit tout de suite les écueils qui menacent un tel projet : le manque de distance, l’auto-complaisance ou a contrario le risque que les frictions inhérentes à tout processus créatif ne finissent par aboutir à une rupture. Et puis, jusqu’où dévoiler son intimité ? Comment la faire entrer en résonance avec celle des personnes dans la salle ?

Autant de défis qu’Isaiah Wilson et Sarah Baltzinger parviennent à relever en jouant sur le caractère assez improbable de leur duo, sachant que le premier vient de l’univers du hip hop tandis que sa partenaire est une danseuse contemporaine adepte des contorsions. Leur Megastructure est une pièce extrêmement bien ficelée où se construit et se déconstruit en 40 minutes l’architecture d’une relation de couple par le prisme des corps. On a pu la découvrir en avant-première lors du dernier rendez-vous du 3 du TROIS au Centre de création chorégraphique de Luxembourg.

Expérimentation

C’est une pièce sans fioritures, portée par une esthétique brute, sans musique ni lumière pour teinter de couleurs sentimentales ce qui s’apparente à une démonstration. Et cela fonctionne. Ces deux corps, par la radicalité de leur performance non dénuée d’auto-dérision, parviennent à porter un discours qui se suffit à lui-même.

Être attiré par l’autre est une chose. Mais comment continuer à être soi quand l’autre est toujours dans ses pattes ? Comment avancer à l’unisson quand les corps n’ont pas la même puissance et ne parlent pas le même langage ? Comment gérer les intermittences du désir ? Et comment s’affirmer en tant que couple dans la société ?

Isaiah Wilson et Sarah Baltzinger sont collés l’un à l’autre pendant la plus grande partie de la pièce. Les corps se dilatent ou se contractent, s’approprient et manipulent les organes de l’autre dans un jeu de réactions en chaîne réglées au millimètre, entre résistance et relâchement, domination et consentement. C’est intense, requiert une précision redoutable, avec beaucoup de portés ou de postures qui semblent mettre les muscles et articulations d’Isaiah Wilson à rude épreuve. Mais il tient bon ! La construction du couple est aussi affaire de volonté.

Pas de place ici à la tendresse ou à sexualisation des corps. La performance puise dans du vécu mais elle relève de la démonstration abstraite, ce qui lui confère une certaine universalité. Cela questionne en particulier la question de la proximité et de la distance qui peuvent se juxtaposer dans les relations interpersonnelles, une thématique déjà développée dans What does not belong to us de Sarah Baltzinger.

Si la pièce fonctionne, c’est aussi par la dose d’auto-dérision qui s’en dégage. Les interprètes passent plus de temps à regarder le public qu’à se regarder mutuellement. Comme s’ils voulaient souligner qu’être en couple relève de la performance et que le regard social participe de cette construction. Une habile manière d’embarquer le spectateur dans la démonstration.

Je ne vais pas divulgacher la fin mais elle est au diapason de l’ensemble de la pièce : ouverte à toutes les interprétations et tous les possibles.

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