Sarah Baltzinger ou l’urgence de danser

par Marie-Laure Rolland

Ses boucles d’or et son regard bleu pacifique sont trompeurs. Sarah Baltzinger est un concentré d’énergie et d’émotions qui peuvent exploser sur scène. La danseuse est aussi chorégraphe. Alors qu’elle présente sa quatrième pièce, Don’t You See it Coming, nous avons voulu en savoir plus sur son parcours et ses aspirations.

Notre rencontre a lieu au Centre de création chorégraphique du Luxembourg (Trois C-L), son deuxième port d’attache après Metz, la ville où elle a grandi. Elle sort d’une séance de répétition avec deux danseurs, avant la représentation d’une de ses pièces dans le cadre du festival des Aerowaves à l’abbaye de Neumünster. Un changement de casting a imposé des réglages de dernière minute. Son sourire évacue les interrogations qui encombrent son esprit. Vont suivre deux heures de discussion à bâtons rompus pour comprendre ce qui l’a poussée dans la voie, exaltante mais exigeante, de la danse et de la création chorégraphique.

«J’y suis arrivée par hasard. Et tard», confie Sarah Baltzinger. Elle a dix-huit ans lorsqu’un copain l’entraîne à un cours de danse contemporaine. À l’époque, elle a fait de la gym et de la danse classique en amateur. La bachelière s’est inscrite en études de droit, s’imagine procureur et ne pense pas du tout devenir danseuse.

L’humain au cœur de la démarche

«C’est en m’immergeant dans la danse contemporaine que j’ai voulu en faire mon métier», dit-elle. Fini le droit. Plus rien ne la fera dévier de son envie de danser, de connaître les clés de ce qu’elle ressent comme une discipline de libération à travers le corps.

MarieJo Chatton la prend sous son aile à l’École du Ban des Arts près de Metz. Parallèlement, elle suit des master classes au Trois C-L à Luxembourg. Puis c’est l’envol vers le Centre CobosMika SEEDS, près de Barcelone. Cette expérience est fondatrice. «Ce n’est pas forcément la virtuosité qui fait un bon danseur. Olga Cobos et Peter Mika mettent l’humain au cœur de la démarche. Il n’y a pas de formatage de tous dans le même moule. D’ailleurs, ce que l’on me reprochait en France a été la raison de mes engagements dans des compagnies plus tard», observe la danseuse.  La souplesse de son corps alliée à une énergie folle lui permettent de développer un vocabulaire à la fois sensuel et puissant, ancré au sol, qui joue aussi avec les acrobaties et les contorsions.

Une fois achevée sa formation chez CobosMika en Espagne, c’est tout naturellement qu’elle a renoué le lien avec le Luxembourg. Et la greffe prend. En 2014, le directeur artistique du Trois C-L, Bernard Baumgarten, l’a retenue dans le casting de Rain, une pièce autour de la mémoire des événements vécus. Deux ans plus tard, elle crée au Grand-Duché l’asbl SB Company, pour y développer des projets parallèlement à ceux qu’elle mène avec Mirage, sa compagnie basée à Metz. En 2018, elle est sélectionnée pour participer au programme Talent Lab du Grand Théâtre de la ville de Luxembourg, avec pour parrains Gabriela Carrizo et Franck Chartier de la compagnie Peeping Tom.

Sarah Baltzinger lors de la recherche sur « What does not belong to us » au Talent Lab de Luxembourg (photo: boshua)

La chorégraphe fait partie de ces artistes qui contribuent, avec notamment Jennifer Gohier, Grégory Beaumont ou Julie Barthélémy, à la dynamique transfrontalière sur la scène de la danse contemporaine dans la Grande Région. Une question d’opportunités, mais aussi d’amitiés artistiques qui se sont nouées au fil du temps. La danseuse et chorégraphe Jill Crovisier a été associée à plusieurs de ses projets. À ses côtés depuis le début, on retrouve le compositeur et musicien Guillaume Jullien qui marque son travail d’une esthétique sonore électro interprétée live.

« La famille, c’est compliqué »

Si elle s’est engagée tard dans un parcours de danseuse professionnelle, Sarah Baltzinger a depuis mis les bouchées doubles. Son parcours de danseuse indépendante auprès de différentes compagnies ou dans divers projets se poursuit parallèlement à un travail de création. Elle aime chercher, expérimenter, se laisser inspirer par la beauté du monde qu’elle recherche en dehors des normes sociétales. « J’ai appris avec le temps à ouvrir mon regard à ce qui se passe autour de moi. J’y puise mon inspiration. Les gens, c’est un panel énorme de matériau chorégraphique », dit-elle.

Elle a passé des heures à l’ombre de la cathédrale de Metz, dans la librairie de son père, et regrette de moins pouvoir lire depuis qu’elle dirige sa compagnie. Elle continue toutefois à puiser ses références dans la lecture, tout comme dans la peinture. Elle aime le baroque (Don’t you See it Coming) voire le rococo, mais aussi le fauvisme. Sa plus grande pièce à ce jour, Fury, avait pour sa part des réminiscences pop.

Après son premier solo intitulé White Beast (2016), commandé par la Ville de Metz dans le cadre du festival Constellation, elle enchaîne avec Fury (2017). Cette pièce explosive pour six danseurs (dont elle-même) et un musicien live propulse les interprètes dans un flux en accélération, porté par la pulsation de notre société contemporaine. Un gros passage à vide suit ce tour de force salué par la critique. «C’était énorme à gérer. Ne l’ayant jamais fait, je n’avais pas conscience de ce à quoi je m’engageais. À la fin, j’étais au bout de moi-même, physiquement et émotionnellement», confie-t-elle. Comme tous les artistes, le doute la tenaille. À quoi cela rime-t-il ? Elle comprend alors qu’elle a besoin de temps. Après l’explosion de Fury, il lui faut reprendre les choses plus calmement.

Cette période de réflexion enclenche un projet de trilogie autour des questions de la transmission et de l’héritage. Une manière d’aller à la source de cette urgence, de cette énergie en même temps que cette fragilité qu’elle ressent dans son corps : « La famille, c’est compliqué mais c’est là d’où on vient. Il m’a fallu du temps pour réussir à faire la part des choses. J’ai pris de la distance et choisi de n’en tirer que le positif».

Elle sait qu’elle n’est pas la seule à porter ainsi le poids du passé. Le corps lui donne les outils pour explorer la manière dont cela conditionne notre relation aux autres. C’est le thème de What does not belong to us (2018), une pièce pour deux danseurs, développée en coproduction avec le Grand Théâtre de Luxembourg. Le second volet, Don’t you see it coming (2020), lui permet de plonger plus profondément encore en elle-même puisqu’il s’agit d’un solo qu’elle interprète. Le conte « Barbe bleue » de Charles Perrault lui sert de source d’inspiration pour questionner ce poids du passé qui peut orienter les rencontres amoureuses et amène à s’interroger sur ce qu’il faut dévoiler ou non. Une réflexion qu’elle offre en miroir au public.

Marie-Laure Rolland

Don’t you see it coming est en tournée du 29 janvier au 28 février 2020 à l’Arsenal de Metz, à l’Adagio de Thionville et au Kinneksbond de Mamer. Plus d’informations en cliquant ici.

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