Louis Steinmetz : le petit prince dans la cour des grands

par Marie-Laure Rolland

Un jeune Luxembourgeois était sur la scène du Aalto-Theater de Essen en octobre dernier pour danser une pièce du lauréat du Prix allemand de la danse 2022. Une chance inouïe pour Louis Steinmetz, mais aussi le fruit du talent, d’une volonté de fer et d’un brin de culot. Depuis 2019, il fait partie du Ballet du Staatstheater de Hanovre sous la direction artistique de Marco Goecke.

par Marie-Laure Rolland

Cette fois le rendez-vous est fixé : à 14 heures au café Konrad. Louis Steinmetz est revenu au pays pour les fêtes de Noël. Trois jours pour embrasser la famille et déjà il reprendra la direction de Hanovre : « C’est là qu’est ma vie maintenant. J’ai quitté le Luxembourg quand j’avais 17 ans. La plupart des liens avec les copains d’alors se sont distendus », dit-il en installant son mètre quatre-vingt-deux sur un fauteuil coincé entre deux tables, au sous-sol de ce chaleureux café qui reste son adresse préférée en ville.

Cela fait longtemps que je suis la carrière de Louis Steinmetz à distance mais c’est notre première rencontre. J’ai envie d’en savoir plus sur le danseur, de comprendre aussi quelle personnalité se cache derrière ce jeune homme qui se présente, tout sourire, pour l’interview.

À 26 ans, il a passé un tiers de sa vie hors de son pays d’origine. Après son premier prix au Conservatoire de Luxembourg, il a intégré le Pôle National Supérieur de Danse Rosella Hightower à Cannes-Mougins où il a décroché son bac (2013-2015), puis l’école supérieure d’arts CODARTS à Rotterdam (2015-2017), avant son entrée au Tanz Theater de Lucerne comme stagiaire puis son recrutement en 2019 au ballet du Staatstheater de Hanovre, sous la direction de Marco Goecke.

« Je veux danser comme ça ! »

Louis Steinmetz a laissé un excellent souvenir à ceux qui ont croisé sa route au Luxembourg. « C’est le prince par excellence ! » dit son ancienne professeure de danse contemporaine au Conservatoire, Emanuela Iacopini, « alors bien sûr quand on a monté Blanche-Neige, on l’a choisi pour le rôle ». Elle se rappelle d’un adolescent « adorable, très poli » qui avait toutes les qualités pour devenir danseur professionnel : « c’était un élève magnifique. Il était tellement déterminé, attentif, capable d’absorber tout ce qu’on lui disait. Cela compensait une certaine raideur car il a grandi vite et ses muscles ont eu du mal à suivre ».

Je découvre un jeune homme spontané, souriant, enthousiaste. Louis Steinmetz n’a pas la langue dans sa poche. Il est heureux de partager sa passion. Content aussi d’observer que son parcours n’est pas totalement sorti du radar de la scène culturelle luxembourgeoise : « C’est ici qu’est née mon envie de devenir danseur professionnel. Je me souviens du choc éprouvé en voyant Gods and Dogs de Jiří Kylián avec le Nederlands Dans Theater au Grand Théâtre en 2013. Je me suis dit : je veux danser comme ça ! Bien sûr, j’ai hyper envie de revenir un jour montrer une pièce comme Midnight Raga, que j’ai interprétée à Essen ».

Encore faudrait-il que son agenda lui en laisse le temps. « Je commence à faire des soirées de gala hors de Hanovre. C’est autorisé mais il faut que cela colle avec l’agenda des répétitions et des spectacles». Or à l’Opéra, le rythme est intense. Hormis une pause estivale et quelques jours à Noël, il n’a pas de vacances.

C’est aussi un sacrifice pour sa famille. « Il a fallu accepter qu’il quitte tôt la maison et il ne revient pas souvent. Mais l’essentiel est qu’il se sente bien » dit Claudie Reyland, sa maman qui est aussi vétérinaire, conseillère communale de la ville de Luxembourg et grande amatrice de ballet. « Je vais voir presque tous ses spectacles et c’est une joie énorme pour moi », dit-elle.

Louis Steinmetz a fait ses premiers pas de danseur au Luxembourg (photo: Marie-Laure Rolland)

Les règles du jeu

Le Ballet de Hanovre présente un nouveau programme tous les deux mois, avec généralement pour chaque soirée trois pièces à l’affiche. Cela impose une excellente condition physique. Chaque journée démarre le matin par environ 30 minutes d’échauffement que suivent 1h15 de danse classique et 2 heures de travail du répertoire. Après une heure de pause-déjeuner suivent 3h30 de travail du répertoire, soit avec des répétiteurs pour les reprises, soit avec Marco Goecke si celui-ci signe une nouvelle création. « Sept heures par jour, c’est lourd » reconnaît Louis Steinmetz.

A cela s’ajoute la capacité à jongler entre les différentes pièces programmées. Pour chacune d’entre elles, il y a deux ou trois distributions afin de permettre une alternance des danseurs, mais aussi des remplacements en cas de blessure. «Il peut arriver qu’on travaille sept pièces en même temps », dit-il.

Comme les 30 danseurs qui composent le Ballet, il doit accepter le casting des chorégraphes, en espérant pouvoir décrocher les rôles les plus stimulants. « Il y a des déceptions. On a toujours envie d’être dans toutes les distributions et, même si on doit travailler ensemble, il y a une concurrence entre les danseurs. En tous cas pour ma part je suis très content. J’ai eu la chance d’avoir beaucoup d’opportunités dès le début ».

Äffi

Louis Steinmetz a déjà dansé dans 32 pièces au répertoire des ballets de Lucerne ou de Hanovre. Surtout, il a participé à la création de nouvelles pièces, une opportunité exceptionnelle d’être au cœur de la fabrique chorégraphique de grands noms de la danse contemporaine : Kiss a Crow (2020) et The Lover (2021) de Marco Goecke, mais aussi Orfeo Ed Euridice de Marcos Morau, Bitter Ends et I’ll do the Talking de Francisco Baños Diaz (2021) ou encore Toda de Nadav Zelner (2021).

Une pièce tient une place à part dans son parcours. Il s’agit d’Äffi, un magnifique solo de 10 minutes sur une musique de Johnny Cash, qui a donné une visibilité internationale à Marco Goecke en 2005. Le public découvrait son écriture très particulière, centrée sur le haut du corps, faite de petits mouvements saccadés extrêmement rapides d’où nait une émotion puissante.

Louis Steinmetz était en fin de stage au Ballet de Lucerne quand un casting a été organisé par un assistant de Marco Goecke pour reprendre Äffi. Il n’y avait que sept garçons dans cette compagnie de 10 danseurs titulaires et trois stagiaires. Il a été retenu. « Quand j’y pense, c’est fou ! »

Et de fait, la chance sera de la partie. Fin 2018, un gala sur l’œuvre de Marco Goecke est organisé à Cologne, avec la participation de quatre compagnies différentes. Louis Steinmetz est missionné pour y représenter le Ballet de Lucerne. Il y fait la connaissance du chorégraphe qui doit prendre la direction du Ballet de Hanovre en 2019. « Je savais qu’il était en train de recruter des danseurs. Je lui ai demandé si je pouvais venir. J’avais alors 22-23 ans et je ne me voyais pas faire toute ma carrière à Lucerne. Je voulais plus grand. Je me suis dit qu’il fallait oser sinon rien ne se passerait », raconte-t-il. Sur le moment, il n’obtient pas de réponse. Mais un message whatsapp de Marco Goecke lui parvient une semaine plus tard. C’est une offre de contrat pour Hanovre, qu’il s’empresse d’accepter avec la bénédiction de la directrice artistique du Ballet de Lucerne, Kathleen McNurmey.

Quand il raconte son parcours, Louis Steinmetz a toujours dans les yeux les étoiles du gamin émerveillé par la beauté des danseurs du Nederlands Dans Theater. S’il n’est pas à La Haye, il travaille désormais sous la direction artistique d’un chorégraphe qui est associé au NDT depuis 2013. L’année où est née sa vocation.

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