ONDA : l’exercice de catharsis de Hannah Ma

par Marie-Laure Rolland

Et soudain la vague du coronavirus nous a tous submergés. La chorégraphe Hannah Ma était en Afrique du Sud lorsque l’alerte a été lancée. Le point de départ d’un processus créatif dont on vient de découvrir au Théâtre National du Luxembourg le premier volet, sous la forme d’une performance dansée intitulée ONDA.

par Marie-Laure Rolland

Il y a tout d’abord ces immenses et splendides projections vidéos signées Sebastian M. Purfürst, sur les trois murs noirs qui font face aux spectateurs. Vagues blanches catapultées sur des parois vertigineuses couleur d’ébène. Bouillonnement moussu, fragments d’écume. La mer en furie avale ici les roches, là une passerelle posée au-dessus du gouffre, avant de se retirer pour mieux revenir. Vertige et fascination à la fois. Les images rythment ONDA. Elles donnent la tonalité de cette pièce en noir et blanc, qui oscille surtout dans les nuances les plus ténébreuses.

Cette impression est renforcée par la musique hybride, fond sonore électro sur lequel vient se greffer la guitare électrique de Purfürst, discrètement présent en fond de scène. La musique est sombre, enveloppante, lancinante mais ponctuée d’éléments organiques – écoulement liquides, échos de chants de baleine – qui viennent apporter un peu de lumière dans les abysses. Le spectateur se sent de plus en plus happé au fil de la pièce dans une zone de dépression où il ne semble y avoir nulle issue.

Les cinq danseurs (Christin Reinartz, Valentina Zappa, Sergio Mel, Maher Abdul Moaty, Ritsuko Matsuoka) évoluent dans leur élément. La pièce a été créée sous la direction de la chorégraphe Hannah Ma pendant la pandémie, alors que la plupart des scènes de danse étaient fermées. Elle s’est nourrie de leurs angoisses, de leurs doutes, de leur questionnements existentiels et artistiques durant cette période dont nous ne sommes pas encore sortis. Pris dans la vague (« onda » en espagnol et italien) de la pandémie, ils ont choisi non pas de la surfer, mais de s’immerger en son cœur comme on part pêcher en eaux troubles en quête d’un trésor, sans trop savoir sur quoi l’on va tomber.

ONDA joue avec les notions de force, d’énergie, de vague, d’éclatement et de recomposition – avec des passages de groupe très réussis lorsqu’ils semblent fusionner en une seule masse organique. Il y est question de métamorphose aussi lorsque les danseurs quittent leurs vêtements du quotidien pour se parer de tenues scintillantes, où l’on peut voir les écailles des créatures aquatiques qu’ils sont devenus.

Du haut de la passerelle

Le public est entraîné à leur suite dans cette plongée au cœur du chaos. Mais pour ma part j’en suis restée la  spectatrice impuissante, comme perchée en haut de cette passerelle fouettée par les flots que l’on voit sur les vidéos. À cette distance, l’émotion qui relie l’interprète au spectateur peine à s’établir. Difficile de comprendre le sens de ces courses effrénées et répétitives, de cette gestuelle dont le vocabulaire est trop minimal pour être toujours lisible.

Les danseurs dialoguent entre eux, dans une catharsis certainement salutaire mais trop exclusive. La pièce est exigeante pour des spectateurs qui se sont aussi pris la vague du coronavirus en pleine figure et peuvent aspirer à trouver, sur les scènes du théâtre vivant, une bouffée d’oxygène pour se sentir vivant. La vague qui engloutit ne peut-elle aussi nous porter vers d’autres horizons ?

Pour ma part, j’en suis sortie désorientée, plombée par une tonalité anxiogène sans main tendue à laquelle me raccrocher. Jusqu’à ce que les lumières se rallument et que les applaudissements retentissent. Là, in extremis, l’illumination du visage des danseurs est venue me percuter. Ma présence faisait sens, offrant aux artistes un regard sans lequel leur expression artistique se noie dans l’indifférence. Ainsi est faite la démonstration que l’art reste bel et bien vivant et que, d’une certaine manière, nous les spectateurs en sommes aussi acteurs.

Il faut signaler que le projet ONDA ne se limite pas à cette performance dansée. Cette troisième collaboration entre Hannah Ma et Sebastian M. Purfürst (après Swann et Wanderer), coproduite par le TNL et réalisée avec le soutien du Centre de création chorégraphique du Luxembourg TROIS-CL, va se poursuivre à travers une installation sonore et vidéo, un album de musique et finalement une performance digitale. L’histoire n’est donc pas complètement écrite. Jusqu’où nous portera l’onde de choc ?

 

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