L’ensemble blanContact fait entendre depuis 17 ans des voix marginalisées dans notre société car moins puissantes, moins rapides, en un mot moins efficaces. Elles nous offrent la chance d’explorer une face souffrante mais aussi lumineuse de notre humanité.
par Marie-Laure Rolland
Dans ReVIvre, une pièce créée au Mierscher Kulturhaus, il y a sept danseurs sur scène et autant de corps différents, porteurs ou non d’un handicap. Chacun est doté d’un langage singulier, étrange parfois. Or l’étrange souvent dérange. Comme si on craignait que le handicap de certains interprètes nous rende sourd à ce qu’ils veulent dire, aveugles à leurs corps a-normaux.
ReVIvre nous fait comprendre qu’on peut très facilement dépasser nos propres handicaps à entendre et voir l’autre. La mise en scène offre un espace de médiation qui facilite le contact et fait naître l’émotion. C’est un catalyseur pour pulvériser les idées stéréotypées nées de la méconnaissance du sujet – au sens existentiel du terme.
Il ne se passe rien de spectaculaire dans cette mise en scène imaginée par Annick Pütz, pilier artistique du projet blanContact depuis ses débuts en 2007, avec cette année Giovanni Zazzera à ses côtés pour la chorégraphie. Dagmar Weitze a imaginé une scénographie à partir de quelques morceaux de bois. Steve Demuth pose une lumière changeante et bienveillante sur ses personnages. Le voyage musical de Pierrick Grobéty nous entraîne au cœur d’une énigmatique forêt qui s’éveille à la vie. Une masse compacte posée au milieu du plateau va progressivement se différencier en plusieurs personnages, tel le tronc d’un arbre qui se déploie en de multiples rameaux sur lesquels vont pouvoir s’épanouir les bourgeons.
Si je devais retenir une image de ce spectacle, ce serait celle de Nico Conter allongé au sol, qui se redresse grâce aux gestes précis et délicats de Baptiste Hilbert, jusqu’à se tenir debout et élever ses bras distordus en l’air. Il donne à voir cette vie qui innerve chaque extrémité de son être tout en projetant en arrière-plan l’ombre d’un arbre fantastique. C’est stupéfiant.
Il y a aussi dans l’Ensemble Steve Urbing, que j’avais déjà eu l’occasion de rencontrer en marge de la création de A part être, en 2018. Grande silhouette un peu voûtée, marchant à petits pas, il apparaît et disparaît, tout comme sa mémoire qui lui joue des tours et qu’il doit apprivoiser avec ses camarades de plateau, comme dans la vie.
J’y ai retrouvé aussi Noa Wagener, que j’ai déjà croisée aux côtés de Sylvia Camarda et Jill Crovisier. La petite silhouette déterminée de cette danseuse porteuse de trisomie n’hésite pas à mener le bal devant ses camarades ou à accompagner Piera Jovic dans un duo facétieux, quand elle ne cède pas la vedette à Sandra Fernandes Fitas perchée sur son arbre.
Vers une nouvelle étape ?
Derrière l’équipe artistique (avec aussi Sandra Beck comme intervenante) et les accompagnatrices (Liette Majerus, Karin Kremer, Danielle Conter ) qui portent littéralement le projet à bout de bras, blanContact est soutenu depuis ses débuts par le Mierscher Kulturhaus, lequel aimerait passer à la vitesse supérieure. L’idée est de pérenniser l’initiative avec un ensemble de danse inclusif fixe, bénéficiant d’un financement stable sur cinq ans et d’une résidence permanente au Mierscher Kulturhaus. Des programmes de formation seraient mis en place pour les danseurs en situation de handicap physique et pour les professionnels souhaitant travailler avec des personnes à besoins spécifiques. Cette proposition est soutenue par le réseau MOSAIK Kultur Inklusiv. Il réunit depuis l’année dernière 16 institutions culturelles qui s’engagent pour plus d’inclusion sur les scènes.
La coordinatrice du réseau, Peggy Kind, explique que l’enjeu financier pour blanContact : «Des danseurs professionnels travaillent six à huit semaines sur une création. Derrière un projet comme ReVIvre, le travail s’est réparti sur deux années. C’est beaucoup plus cher et lourd à organiser».
Des discussions vont avoir lieu avec le ministère de la Culture et elle a bon espoir de se faire entendre du nouveau ministre, qui a annoncé à son arrivée vouloir élargir l’accès à la Culture. «Le Luxembourg a du retard à rattraper à ce niveau-là », insiste Peggy Kind.
Après la création au Mierscher Kulturhaus le 22 mars, la pièce est à l’affiche du Grand Théâtre de Luxembourg le 8 mai 2024 à 20h.