« Cette pièce était dans ma tête depuis 10 ans », dit la danseuse Rhiannon Morgan à propos de AdH(A)rA. Ce solo est la première chorégraphie de celle qui dit avoir désormais la maturité pour cet exercice de mise à nu.
Il faut une énorme force mentale pour créer par temps de pandémie. Un artiste ne mobilise pas seulement ses compétences dans son travail. Il y met aussi son corps, sa sensibilité, son histoire. Lorsque nous retrouvons Rhiannon Morgan dans le studio de répétition du Centre de création chorégraphique de Luxembourg (TROIS-CL), son grand sourire s’accompagne d’un point d’interrogation dans les yeux. La Première est prévue le 3 novembre. « J’ai encore du mal à y croire », dit-elle, « ça a été un très long voyage ».
La première Première était planifiée le 3 avril. Pendant le confinement. Cette fois, elle est à l’affiche à la Banannefabrik le 3 novembre, en pleine deuxième vague de la pandémie. Les sept mois écoulés ont permis de faire reposer la pièce. Ils ont aussi été une période de nouveaux questionnements. Le volet participatif a dû être modifié. Impossible de faire entrer le public dans sa danse, comme elle le prévoyait. Une déception mais aussi un nouveau défi, en écho au bousculement de nos relations sociales.
Aller au fond de soi-même
Jusqu’à nouvel ordre, la date est maintenue. Ce sera l’aboutissement d’une aventure qui a démarré en 2010 lorsqu’elle était étudiante en Master à l’école de danse contemporaine The Place, à Londres. Elle y est entrée après un cursus au Conservatoire de Luxembourg et à la Rambert School of Ballet and Contemporary Dance à Twickenham. « Ma formation de danseuse a surtout été focalisée sur la technique, peu sur le mental. Cela me manquait. La philosophie orientale m’a permis de comprendre comment le corps et l’esprit ne font qu’un, comment l’un impacte l’autre. Je me suis dit que cette approche pouvait aussi nourrir ma danse », dit-elle.
« Adhara » est un terme sanskrit utilisé notamment dans la pratique du yoga. Il désigne un support de méditation. « Dans la philosophie orientale, il y a cinq couches différentes qui nous empêchent d’être nous-même. La pièce est une tentative d’enlever ces couches pour revenir à l’essence de ce que je suis», explique la danseuse. Pour elle, « la vie en société impose souvent de porter des masques pour pouvoir fonctionner. Que ce soit au sein de sa famille, à l’école, au travail… Je me suis demandée quels sont les masques que je me suis créé au fil du temps. Mais aussi, serais-je capable de m’accepter sans ces masques ? »
Sur ces questions s’est greffé un questionnement identitaire pour celle qui a grandi au Luxembourg auprès d’une maman grecque et d’un papa anglais, et qui sillonne l’Europe en tant que danseuse professionnelle. « Où sont mes racines ? En fin de compte, j’ai compris que ma maison, c’est la danse ».
Ce travail de recherche a pris du temps. L’un des défis était de porter ces questionnements sur scène, devant un public, à travers une chorégraphie. «Cela implique de s’assumer telle qu’on est mais aussi d’être capable de faire une expérience commune avec le public. Il faut une certaine maturité».
Trouver la virtuosité dans la simplicité
La création musicale de AdH(A)rA est signée par Bernard Schimpelsberger, un compositeur réputé pour ses musiques au carrefour des influences indienne et européenne. Il a notamment collaboré avec Akram Khan. « C’est par là que la pièce a commencé, en 2016, lorsque je lui ai passé une commande ». À posteriori, elle estime qu’avoir la pièce clé en main était « une erreur de débutante » . Elle y a laissé une bonne partie de son budget et cela a limité sa flexibilité dans sa propre composition de la pièce. « Mais bon, au moins cela m’a donné un cadre et un point de départ ! »
Les collaborations artistiques se sont ensuite développées avec la styliste Jennifer Lopes Santos pour les costumes et Antoine Colla pour la création lumière. » Tous deux sont basés au Luxembourg. Cela a facilité les échanges et la réactivité au fur-et-à-mesure de l’évolution de la pièce et des événements ».
La recherche chorégraphique a pris appui sur l’improvisation autour de différents états émotionnels, en explorant des situations de la vie quotidienne. « J’ai cherché à trouver la virtuosité dans la simplicité, à ne pas en mettre plein la vue. C’est quelque chose de très difficile pour moi et c’est l’une de mes plus grandes découvertes dans ce parcours créatif », confie Rhiannon Morgan.
Un autre élément clé a été de constater à quel point son corps a été marqué par son apprentissage de danseuse. « J’ai essayé de gommer ces influences et je me suis perdue. J’ai compris avec ce solo que je veux m’accepter comme je suis. Ce que j’ai appris des autres fait partie de moi et de mon corps », dit celle qui a eu son premier choc esthétique en voyant Palermo, Palermo (1990), de Pina Bausch. « En voyant cette pièce je me suis dit, c’est ça que je dois faire dans ma vie. Vibrer, vivre, créer des mondes sur scène ! Alors, si je réussis à ce qu’un spectateur se sente vivant à travers AdH(A)rA, je serai heureuse ».
Marie-Laure Rolland
AdH(A)rA, de Rhiannon Morgan, est à découvrir le 3 novembre à 19h au TROIS-CL. Informations et réservations en cliquant ici.