C’est une première pour la chorégraphe luxembourgeoise Sylvia Camarda aussi bien que pour la chaîne de télévision arte. La série Move !, que l’on peut suivre en replay sur le site de la chaîne jusqu’au 21 mai 2018, propose de parler de notre monde autrement, par le prisme du mouvement. Une manière de faire descendre la danse de son piédestal pour la mettre de plein pied dans notre société. L’idée est géniale. Sa concrétisation un peu plus mitigée. Nous avons passé les épisodes au crible de différents critères.
Les thématiques retenues
En six épisodes de 26 minutes, la série explore des thématiques aussi différentes que La peur, Le pouvoir, Voler, Voiler/dévoiler, L’homme digital, Les liquides. L’éclectisme de ces sujets peut dérouter le spectateur.
En revanche, si on connaît le travail de Sylvia Camarda, cela n’a rien de surprenant. Celle-ci nous entraîne dans son univers de chorégraphe qui s’intéresse de longue date à la question du pouvoir. On retrouve dans les épisodes sur La peur et sur Le pouvoir des interrogations et des gestuelles que l’on a pu voir dans des pièces comme Conscienza di Terrore I et II sur le terrorisme (2009), mais aussi Martyr (2014) ou Ex(s)ilium (2017).
La question du statut des femmes, suggérée dans l’épisode Voiler/dévoiler, est aussi un fil rouge dans son travail. On se rappelle de ses pièces Swan dies of an overdose (2010), Warrior of Beauty (2012) ou Mi Frida avec Sascha Ley (2014).
Les autres thématiques font plutôt écho à son travail de danseuse. Dans l’épisode sur Les liquides, elle rencontre Jan Fabre pour lequel elle avait dansé dans sa pièce Je suis sang. On retrouve aussi sa fascination pour le cirque, qui lui avait valu une collaboration avec le Cirque du Soleil, dans l’épisode Voler.
La dernière thématique, L’homme digital, renvoie à ses propres interrogations de geek mais aussi à sa curiosité de chorégraphe pour la manière dont le corps, et donc la danse, sont impactés par la révolution technologique.
Les scénarios
Ils sont très variables selon les épisodes. Curieusement, le premier volet sur La peur, qui avait été diffusé l’année passée et que l’on peut toujours voir sur le site de Arte, ne fait plus officiellement partie de la série. Il est considéré comme un «pilote». A-t-il coûté trop cher à réaliser? C’est pourtant le film le plus structuré dans son discours autant que dans sa mise en forme chorégraphique. Les considérations urbanistiques, psychologiques et chorégraphiques donnent une vraie profondeur à ce sujet qui est toutefois dédramatisé par la spontanéité de Sylvia Camarda.
Pour les mêmes raisons, on peut dire que l’épisode sur L’homme digital est une réussite. Il nous entraîne à la fois du côté de ceux qui font les expérimentations les plus pointues en recherche chorégraphique, et du côté de ceux qui font le choix radical d’y renoncer. Le corps est bien au cœur des enjeux de la révolution technologique.
Les scénarios des autres épisodes sont plus faibles. Les sujets semblent miser sur l’anecdotique et l’improvisation. Au final, ils sont moins approfondis et moins convaincants. Il faut dire que traiter visuellement en 26 minutes d’un sujet comme Les liquides ou Le pouvoir était extrêmement ambitieux. Manifestement trop.
La modération
Compte-tenu du concept, Sylvia Camarda était la personne idéale pour l’incarner. Son énergie, son multilinguisme, sa manière décomplexée de vivre son métier de danseuse et de chorégraphe la rendent extrêmement charismatique. On comprend que la production de Arte soit tombée sous le charme et envisage de nouvelles collaborations.
Seul regret, que le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker n’ait pas répondu à sa demande d’interview pour l’épisode sur Le pouvoir… Elle nous avait confié l’année passée l’avoir contacté. Le face à face aurait probablement été savoureux.
La réalisation
Très pro et dynamique. De la belle ouvrage qui, cerise sur le gâteau, ne se prive pas d’utiliser le cadre luxembourgeois dans des images à couper le souffle (comme les vues sur la passerelle de l’ascenseur du Pfaffenthal).
Le verdict
On attend la suite mais arte devrait se donner les moyens de pousser plus loin le concept.
Marie-Laure Rolland