L’histoire de la danse luxembourgeoise est encore peu documentée. Depuis une dizaine d’années, les fonds d’archives de danseurs peuvent être déposés au Centre National de Littérature de Mersch, qui dispose de l’infrastructure nécessaire pour les conserver et les exploiter. C’est dans le cadre de cette mission que la collaboratrice scientifique du CNL, Daniela Lieb*, a découvert l’existence de Stenia Zapalowska (1921-2017). Elle en retrace le parcours pour La Glaneuse.
Stenia Zapalowska est née à Varsovie en 1921. Elle décide de devenir danseuse à l’âge de quatre ans et commence une formation de danseuse. En 1937, elle est admise au célèbre ballet de l’Opéra national polonais, où elle reste jusqu’à l’invasion allemande du pays le 1er septembre 1939 et la dissolution de la compagnie.
La Seconde Guerre mondiale a eu des conséquences non seulement professionnelles mais a aussi frappé de plein fouet la famille de la jeune artiste. Son père, officier de police, a été déporté en Union soviétique en 1939/40 et assassiné lors du massacre de Katyn. Sa mère est morte en 1944 lors du soulèvement de Varsovie. Son frère, qui était actif dans la résistance armée, a été arrêté et déporté dans un camp de prisonniers allemand. Il a réussi à s’échapper et a rejoint l’armée polonaise en exil. L’aînée des deux sœurs Zapalovska a été internée dans le camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau où elle a été victime d’expériences médicales. La plus jeune a grandi dans un orphelinat.
De Varsovie au Luxembourg
Après la destruction de l’Opéra National, un noyau très réduit de l’ensemble de danse, auquel appartient Stenia Zapalowska, déménage ses activités au Teatr Polski, la seule scène qui fonctionne à Varsovie. C’est là que Zapalowska rencontre l’acteur luxembourgeois Florent Antony, qu’elle épouse en 1943. Après avoir surmonté des difficultés administratives considérables, elle parvient à obtenir son départ de la Pologne occupée.
Le couple s’installe temporairement à Berlin, où Florent Antony s’engage au Théâtre Rose. Stenia Zapalowska y est immédiatement engagée comme danseuse et chorégraphe. A partir de l’été 1944, lorsque la guerre totale en Allemagne entraîne la suspension de toutes les activités scéniques, Stenia Zapalowska va vivre au Luxembourg avec ses beaux-parents à Kayl. Cependant, sa nationalité et sa sensibilité politique l’empêchent d’être acceptée dans la famille. Les parents de Florent Antony et son frère sont des partisans convaincus du régime hitlérien. Son père en particulier, en tant que chef du groupe local de Kayl-Tetingen, est profondément engagé dans les structures institutionnelles des forces d’occupation. Dans ce milieu conservateur sans référence artistique, on voit d’un mauvais œil la profession de danseur.
A Kayl, Stenia Zapalowska vit la libération et la fin de la guerre sans le sou. Les milieux de la résistance locale confisquent la maison où elle loge, avec tout son inventaire. Malgré les nombreux impondérables et les adversités, notamment la stigmatisation répétée par les anciens membres de la résistance, elle décide de rester au Grand-Duché et refuse une nomination comme soliste et chorégraphe au Théâtre de Bonn.
Les années d’enseignement
Probablement dès 1945, elle commence à donner des cours de danse dans un café au centre de la Ville de Luxembourg. En 1946, elle ouvre une école de danse dans la Salle dʼarmes, qui est ensuite transférée à d’autres adresses.
Contrairement à la plupart de ses collègues, Stenia Zapalowska n’a pas seulement une formation systématique et une grande expérience de la scène, elle s’efforce aussi de collaborer avec des représentants d’autres arts, tels que le pianiste René Delporte, le Trio luxembourgeois autour de René Merzig ou le metteur en scène Theo van den Broeck. Elle anticipe ainsi un développement qui ne commencera qu’avec la création du Forum des arts (1982).
Ses efforts pour standardiser l’enseignement de la danse sont d’une importance fondamentale pour la professionnalisation de cet art au Grand-duché. A cette fin, elle rejoint les associations française, belge et néerlandaise des professeurs de danse en 1953 et 1954. Le projet de fonder une association professionnelle luxembourgeoise basée sur ces modèles échoue en 1958 en raison de la résistance de ses collègues.
Une pépinière de talents
Parallèlement à sa participation à divers programmes de formation de l’Association belge des professeurs de danse, Stenia Zapalowska commence vers 1960 à enseigner d’après le système de formation de la Royal Academy of Dance (RAD) à Londres, de réputation mondiale. Ses nombreux élèves obtiennent toujours des résultats supérieurs à la moyenne devant les commissions d’examen du RAD. Certains d’entre eux trouvent le chemin de la danse professionnelle, par exemple Annelie Kneip à l’Opéra de Graz, Marie-Claire Winandy au Pfalztheater Kaiserslautern, Josée Piffer au Städtische Bühnen Oberhausen, Baby Biver qui va enseigner au Conservatoire de la Ville de Luxembourg ou Michel Kieffer qui est admis au London Royal Ballet School.
Zapalowska dirige son école de danse jusqu’au début des années 1980. Elle a reçu plusieurs prix pour son travail au service de la danse: l’Ordre du Mérite en 1975, la médaille du 200ème anniversaire de la danse polonaise en 1985 et le très convoité RAD Presidentʼs Award en 1992. Elle meurt en 2017, à l’âge vénérable de 96 ans.
Daniela Lieb
*Daniela Lieb est collaboratrice scientifique au Centre national de littérature. L’histoire de la danse luxembourgeoise est l’un de ses principaux domaines de recherche ; sa contribution la plus récente concerne « Jean Weidt, der Rote Tänzer in Luxembourg« .