Un festival de danse en ligne: «J’étais sceptique mais je n’allais pas dire non ! »

par Marie-Laure Rolland

Deux coproductions luxembourgeoises étaient sélectionnées cette année au festival Spring Forward organisé par la plate-forme européenne de danse contemporaine Aerowaves. Du jamais vu. En raison de la pandémie de Covid-19, l’événement s’est finalement déroulé en ligne. La Glaneuse a demandé aux participants ce qu’ils en ont pensé.

Les professionnels du monde de la danse contemporaine devaient se retrouver du 24 au 26 avril à Rijeka, une ville croate au bord de l’Adriatique, pour découvrir les 20 meilleures pièces sélectionnées par la plate-forme européenne Aerowaves. Chaque année depuis 1996, le festival doit permettre aux programmateurs de faire leur «marché»  de pièces à présenter dans leurs institutions culturelles. C’est aussi une occasion de rencontres et d’échanges pour nouer ou développer des partenariats. Cette année, il y avait deux coproductions luxembourgeoises dans la sélection : Warrior de Anne-Mareike Hess et The Ephemeral Life of an Octopus de Léa Tirabasso. Un cru exceptionnel pour la danse contemporaine luxembourgeoise.

La pandémie de Covid-19 est venue gâcher – temporairement – la fête. Le festival est reprogrammé du 23 au 25 octobre 2020 à Rijeka. Si les conditions sanitaires le permettent. En attendant, les organisateurs ont réussi à mettre sur pied, aux dates prévues en avril, la plate-forme internet «Spring Forward. The Show Must Go On-Line». Un format qui pourrait faire école dans les prochains mois, compte-tenu des incertitudes liées à l’évolution de la pandémie.

Une dramaturgie soigneusement orchestrée

D’après l’organisateur du festival en ligne, 1416 personnes originaires du monde entier se sont enregistrées à la manifestation. En moyenne, 600 d’entre elles se sont connectées chaque jour. Le spectacle le plus visionné l’a été par 270 personnes.

Ces chiffres ne disent rien sur l’appréciation qualitative du festival en ligne. Toujours est-il qu’internet aura permis de toucher une audience plus large. «La capacité d’inscription aux Aerowaves est limitée par les infrastructures de spectacles disponibles dans la ville où la manifestation se déroule. En général, il y a entre 300 et 400 personnes maximum», indique le directeur du Centre de création chorégraphique du Luxembourg, Bernard Baumgarten, un habitué de la manifestation.

Le festival en ligne s’est déroulé durant trois jours. La journée débutait vers 11h30 et s’achevait entre 21h et 22h, selon les jours. Les vidéos des 20 spectacles sélectionnés étaient diffusées suivant une grille de programme fixe. Les diffusions étaient suivies de sessions de questions et réponses entre les artistes, un modérateur et le public.

On pouvait également découvrir au fil de la journée des documentaires sur la ville de Rijeka et ses infrastructures culturelles, des interviews de personnalité du monde de la danse, des interventions des organisateurs. Le tout s’est clôturé par une «Zoom-party» animée par un groupe de musiciens croates qui jouait en live.

Il n’était pas possible d’avoir accès à des podcasts sur la plate-forme pendant le festival. La programmation s’est déroulée suivant un horaire fixe qui devait convenir à une audience allant de l’Asie à l’Amérique. Un point que l’on peut regretter. Il aurait été intéressant de trouver une formule pour combiner la flexibilité d’internet et l’interactivité du concept, pour des confinés qui devaient jongler avec leurs contraintes familiales ou professionnelles.

L’atout de l’interactivité

Le programme a été mis sur pied en collaboration avec des dramaturges professionnels en utilisant l’outil de vidéo-conférence Zoom, qui s’est largement popularisé pendant le confinement. Tout l’enjeu était de recréer, autant que possible, cet esprit de «communauté» qui fait le sel des festivals. Pour la chorégraphe Léa Tirabasso, confinée à Londres avec son mari et son petit garçon, cela a fonctionné. «Le format était vraiment bien. J’ai suivi le festival une bonne partie du week-end. Tout à coup, j’ai eu le sentiment que la Communauté, qui me manquait tant, était réapparue. Ils ont vraiment réussi à recréer cela. Je ne pensais pas que ce serait possible», dit-elle. Le plus curieux était ensuite de se débrancher et de se retrouver à Londres, dans un environnement totalement déconnecté de ce qu’elle venait de vivre.

« The Ephemeral Life of an Octopus » de Léa Tirabasso (Photo: Bohumil Kostohryz)

Anne-Mareike Hess, confinée à Berlin, était sceptique lorsqu’on lui a parlé d’un festival en ligne. «En principe, je suis contre l’idée de diffuser des captations vidéos. C’est une documentation de travail. Ce n’est pas prévu pour être un film, à la différence des vidéo-danses. La manière dont on fait des captations est peut-être un point sur lequel on devra réfléchir à l’avenir ». La chorégraphe avait aussi des doutes sur la capacité du public à suivre tout un programme sur écran. «Qui va regarder 20 pièces en trois jours?» Mais elle ajoute: «même si j’étais sceptique, je n’allais pas dire non».

Elle a vécu l’expérience tout d’abord comme artiste. «Je ne regarde en principe jamais les vidéos de mes pièces.  Là, je ne pouvais pas faire autrement. J’étais très concentrée et,  progressivement, la mémoire du corps s’est réveillée devant l’écran. C’était très intense. Je transpirais. Même ma respiration s’est mise au rythme de la chorégraphie. À la fin de la diffusion, j’étais épuisée», témoigne-t-elle. Sans transition, elle s’est retrouvée sur l’écran de la plate-forme Zoom pour une session de questions/réponses qu’elle a trouvée  stimulante.

Les limites de l’écran

Son avis en tant que spectatrice est plus mitigé. «Il y avait de grandes différences dans la qualité des vidéos. Parfois, on se disait qu’il serait intéressant de voir les pièces en live. Pour d’autres, on se déconnectait très vite. J’ai l’impression qu’avec la vidéo, le jugement intervient beaucoup plus rapidement que dans une salle de spectacle. On se laisse moins le temps de se faire une opinion».

La directrice de Neimënster et programmatrice des Aerowaves, Ainhoa Achutegui, est plus radicale encore dans son jugement. Elle se dit très réticente à ce type de manifestation en ligne: «Le Spring Forward – The Show Most Go On Line  était intéressant comme expérience. Tout était très bien organisé.  L’interactivité entre les artistes et le public était une première, très positive. Mais pour moi ce n’est pas une solution. Il faut voir les pièces en live. Certaines vidéos n’ont aucun sens si on ne partage pas l’expérience du spectacle».

Et ensuite?

La question se pose finalement des suites que peut avoir un tel festival sur internet. Pour l’heure, les programmateurs sont dans le flou concernant la possibilité de réouvrir les portes de leurs institutions culturelles. Autant dire qu’ils ne vont pas s’engager sur de futures dates.  « L’urgence pour les programmateurs est de décaler les pièces qui sont actuellement à l’affiche. Ce n’est pas le moment de les contacter », estime Léa Tirabasso. Elle préfère rester en « stand by » en attendant, prendre le temps de s’occuper de sa famille, de l’administration à mettre à jour, de projets à long terme.

Anne-Mareike Hess attend de voir si certains professionnels reviennent vers elle après le Spring Forward On-Line. Si elle confie que le début du confinement a été un choc, du fait de l’arrêt brutal de toutes ses activités, elle s’est désormais reprise et poursuit ses recherches pour sa prochaine création programmée en décembre à Neimënster. Le solo Dreamer est toujours à l’affiche à cette date, confirme la directrice, Ainhoa Achutegui.

Marie-Laure Rolland

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