Encore un Casse-Noisette ? C’est la première réflexion qui m’est venue à l’esprit en apprenant le projet de Luxembourg Ballet à Vianden, « The Nutcracker – a fairy tale for adults with sleep masks ». Eh bien le spectacle valait le déplacement.
par Marie-Laure Rolland
Le charme de l’Eisleck opère toujours pour échapper au stress citadin. Autre bonne surprise, j’ai pu découvrir en allant à Vianden une création qui fait entrer le Luxembourg Ballet par la grande porte sur la scène artistique, en lui apportant une belle bouffée d’oxygène.
Le cadre romantique du château a accueilli la pièce signée par la chorégraphe biélorusse Volha Kastsel. Celle-ci ne révolutionne pas la danse mais vient apporter ce qui manque encore chez nous : l’ambition de créer des spectacles de ballet classique de haut niveau, dans une approche contemporaine.
La pandémie a fixé au Luxembourg cette artiste biélorusse qui travaille depuis plusieurs années entre le Grand-Duché et Minsk, où elle est chorégraphe au Théâtre Bolchoi. Elle a aussi signé des créations au English National Opera, à la Nationaloper Estland et au Nationalen Musiktheater Rostov.
Sur scène, on retrouve Viktoria Tvardovskaya, une danseuse classique régulièrement invitée aux Galas des Étoiles, et qui a aussi fait forte impression dans I(CE) (S)Cream : Boléro Femme, une pièce de danse contemporaine créée par Jill Crovisier où elle troque ses pointes par des patins à roulettes. Deux autres danseurs sont à ses côtés : Susanne Wessel (Luxembourg Ballet) et Uladzimir Ivanou, de l’Opéra national de Tchéquie, danseur invité.
La musique est interprétée en live par trois excellents musiciens, professeurs au conservatoire de Luxembourg : la pianiste Tatsiana Molakava, le ténor Marc Dostert et la soprano Hélène Bernardy.
Conte pour adultes endormis
Comme beaucoup avant elle, la chorégraphe s’est interrogée sur les raisons du succès de Casse-Noisette, plus de 200 ans après sa création par E.T.A. Hoffmann puis son adaptation en ballet sur la musique de Tchaïkovski. Volha Kastsel y voit un conte faisant vibrer la nostalgie de l’enfant qui sommeille en chacun de nous, le casse-noisettes figurant l’outil capable de briser la carapace d’adulte que nous nous sommes forgés. En somme, elle pose la question : qu’en sort-il ?
Sa pièce baigne dans la nostalgie de Noël, soulignée par une playlist qui en revisite de nombreux tubes, du Stille Nacht de Grubber au Wlegenlied (Lullaby) de Brahms, sans oublier l’ouverture et la valse du Casse-Noisette de Tchaïkovsky. Les artistes arrivent en procession dans la salle plongée dans le noir, éclairés de lanternes qui vont dévoiler la scénographie faite de six portants habillés de longs tutus de voile blanc (sur une scène malheureusement un peu petite).
Les personnages fêtent Noël avec son lot de chants, de rires, de disputes et de confidences. Volha Kastsel a recueilli et enregistré les témoignages des danseurs. Ceux-ci sont rediffusés, par petites touches, au fil de la chorégraphie. Les artistes nous parlent de leurs rêves d’enfants, quand il se rêvaient en étoile. Mais ils se confient aussi sur la réalité de leur métier, la rudesse de son apprentissage, la lutte pour obtenir la première place, le décalage entre l’image du spectacle et ses coulisses. La pièce va ainsi dévoiler ce qui se cache derrière les tutus. Ceux-ci finissent éparpillés à terre, symboles déchus de rêves qu’il n’est pas interdit de recycler en une nouvelle magie, « pour adultes ».
Après cette première création réussie, Luxembourg Ballet prépare pour 2022 une création intitulée Reading Dostoïevski, sur des Lieder de Mahler, avec des solistes professionnels et le corps de ballet de l’école d’Elena Chorkina à Ettelbruck, où enseigne Volha Kastsel. Cette production réalisée dans le cadre des 200 ans de Dostoïeveski célébrés par l’Unesco partira de son roman, L’Idiot, pour explorer comment il entre en résonance avec d’autres auteurs européens. Un programme prometteur.