Est-ce parce qu’il en avait assez de tourner en rond ? Après 3,14 Π, Andrea Rama travaille à sa nouvelle création A Line Supreme. Le chorégraphe originaire d’Albanie, qui vit entre Luxembourg et Berlin, met la barre plus haut avec cette pièce pour quatre danseurs et un dispositif acoustique géré en direct. Avant la première le 4 octobre au Grand Théâtre de Luxembourg, nous avons pu le rencontrer.
Andrea Rama, comment est né le projet de votre nouvelle pièce, A Line Supreme ?
Mon précédent projet 3,14 Π, se basait sur la forme du cercle. Pendant mes recherches, je me suis rendu compte que se posait toujours la question des lignes inconscientes à l’intérieur du cercle. C’est cet aspect que j’ai voulu explorer ici. Mon inspiration vient du sport et des mouvements linéaires qui interviennent dans certains jeux collectifs comme le basket, le foot.
Avez-vous un intérêt particulier pour le sport ?
Non mais c’est un point de départ pour mon inspiration car cela me permet d’observer comment, naturellement, le corps se déplace dans l’espace. Tout mouvement est une chorégraphie.
Comment cela se transforme-t-il en écriture chorégraphique ?
J’essaie de souligner les contrastes dans les trajectoires. Il y a des lignes fines, plus fragiles, plus féminines. D’autres sont plus fortes, plus larges, plus masculines.
N’est-on pas là dans les stéréotypes ?
En général, le corps de l’homme, sa musculature sont plus grandes ou puissantes que celles des femmes même si bien sûr il y a des personnes qui ne correspondent pas à cela. Cela m’intéresse de voir comment ces différents corps, avec leurs énergies, occupent l’espace, modèlent l’environnement sonore. C’est au spectateur d’y donner sa propre interprétation en fonction de ce qu’il ressent.
Votre démarche est abstraite. Comment le spectateur peut-il s’y retrouver ?
En fait je construis ma pièce comme un voyage. Il y a des hauts et des bas, des périodes de calme et de bruit, comme dans la vie. Je suis parti de l’idée d’une journée où progressivement le soleil se lève et éclaire un paysage, en rendant les détails de plus en plus précis.
Pour ce voyage, chaque danseur est armé d’un grand balai-brosse qui est un élément clé de la chorégraphie. Comment vous est venue cette idée ?
En septembre 2017, nous étions au Théâtre de la Ville à Paris et deux techniciens sont arrivés pour balayer la scène. Mon projet était pratiquement écrit mais les voir ainsi balayer en rythme, avec le son du frottement sur le sol qui bougeait d’un côté à l’autre de l’espace, m’a complètement fasciné. C’est là que j’ai commencé à imaginer de travailler avec cet accessoire.
De l’idée à la réalisation, il y a un pas qui n’est pas forcément simple…
Oui ce balai-brosse est compliqué à manipuler, en particulier pour les femmes car il est lourd dès qu’il s’éloigne du centre de gravité du corps. Cela impose d’acquérir une technique pour pouvoir effectuer la gestuelle. Une grande partie du processus de création a été de travailler cette technique. Ce n’est pas du tout évident.
La chorégraphie est-elle très écrite ou vous basez-vous sur l’improvisation ?
C’est un peu des deux. Être en ligne géographiquement c’est bien, mais c’est aussi une histoire de ligne personnelle, de la manière dont on s’intègre soi-même dans un collectif ou dont on choisit de s’en éloigner. C’est un point clé de ce projet.
Vous êtes vous-même sur scène. Pendant les répétitions, n’est-il pas compliqué de danser et de garder un œil extérieur sur ce qui se passe autour de vous ?
Initialement je ne devais pas danser mais j’ai dû remplacer quelqu’un. J’avais aussi prévu d’intégrer le light designer et le musicien sur scène mais cela n’a pas fonctionné. Techniquement c’était trop compliqué or mon idée était de faire quelque chose de minimaliste. On a donc choisi l’option de sonoriser les balais et de gérer la lumière de l’extérieur. Il est vrai que ce n’est pas facile d’être sur scène mais j’utilise la vidéo et j’ai aussi le regard extérieur de mon associée au sein de la compagnie Porson’s Khashoggi, Xeni Alexandrou.
C’est la première fois que vous créez une pièce pour quatre personnes. Comment avez-vous vécu cette expérience ?
C’est la première fois que je travaille dans des conditions aussi professionnelles, grâce au soutien du Grand Théâtre. Cela étant, le vrai défi pour moi était de parvenir à faire passer mes idées à mon équipe, de trouver la bonne manière et le bon moment de les communiquer. J’apprends beaucoup de tout ce processus.
En quoi cette pièce diffère-t-elle de vos précédentes créations ?
Avant de chorégraphier, j’ai dansé dans différentes compagnies où je me suis familiarisé avec différents styles. Cela se prolonge dans mon travail de chorégraphe. J’ai commencé par des créations commerciales et me suis tourné ensuite vers la danse contemporaine, là aussi de manière très ouverte, du théâtre dansé au minimalisme de A Line Supreme.
Y a-t-il un chorégraphe qui vous inspire ?
En ce moment c’est Cunningham. J’avais du mal à apprécier son travail lorsque j’étais plus jeune mais aujourd’hui je suis fasciné par la manière dont il utilise l’espace.
Interview: Marie-Laure Rolland
Andrea Rama: « A Line Supreme » avec Natali Mandila, Rhiannon Morgan, Baptiste Hilbert, Andrea Rama. Les 4 et 5 octobre à 20 heures au Grand Théâtre de Luxembourg. Plus d’informations en cliquant ici.