Drawing on Steve Reich – Et la musique prend forme

par Marie-Laure Rolland

Stéphane Ghislain Roussel ne cesse de nous étonner. Aussi modeste que talentueux, il fait partie de ceux qui parviennent à toucher à tout sans se disperser. Alors qu’il vient d’inaugurer au Centre Pompidou-Metz Opéra Monde, une remarquable exposition autour de l’univers transdisciplinaire de l’Opéra, il a signé récemment Drawing on Steve Reich, une pièce aussi originale que subtile pour 18 musiciens, huit enfants et une danseuse.

Finalement la musique s’évanouit, après une heure durant laquelle les musiciens ont porté le long flux sonore imaginé par Steve Reich dans Music for 18 musicians (1976), l’une des pièces maîtresses du compositeur américain. Reste alors, posé sur le sol et surplombé par la coupole de la Rotonde de Luxembourg-Bonnevoie, un œil aux anneaux couleur de terre et de nuit, de feu et d’azur. Composée de pigments et d’argile, cette figure est immobile mais encore vibrante du processus qui l’a créée.

Stéphane Ghislain Roussel qualifie ce processus de « voyage synesthésique ». Dans Drawing on Steve Reich, le public assiste à une sorte de rituel avec d’un côté les 18 musiciens disposés en arc de cercle, de l’autre les interventions soigneusement orchestrées des huit enfants conduits par la danseuse Annick Pütz.

Le dispositif musical de la pièce de Steve Reich est imposant. Il réunit un violon, un violoncelle, deux clarinettes et deux clarinettes basses, quatre pianos, trois marimbas, deux xylophones, un vibraphone, des maracas et quatre voix féminines amplifiées. L’Ensemble contemporain Lucilin a sollicité pour cette pièce neuf jeunes musiciens lauréats de la Bourse Michelle.

« Drawing on Steve Reich » de Stéphane Ghislain Roussel (photo: Paula Onet)

Cette pièce rarement jouée au Luxembourg a attiré bon nombre de mélomanes qui n’ont pas regretté le déplacement. Il faut dire que l’enceinte circulaire des Rotondes se prête particulièrement bien à une musique minimaliste et hypnotique qui part d’un point central auquel elle revient sans cesse pour se développer dans de nouvelles déclinaisons.

Jeux d’équilibre

Face à cette masse sonore, les petites silhouettes colorées des enfants et de la danseuse sont en situation de déséquilibre au début de la pièce. Leur gestuelle calme et pondérée intrigue. Armés de balais, ils dispersent un tas de pigments noirs et lui donnent forme circulaire. Ils apportent ensuite en procession des pigments de couleur. Leurs mains malaxent de l’argile. Leurs bras se tendent pour disperser des pétales de fleurs. Ces gestes, qu’ils ont eux-mêmes imaginés lors d’ateliers au Musée d’art moderne, leur permettent de prendre possession de l’espace au fil du temps.

Il leur arrive aussi de sortir de la scène et de laisser la danseuse évoluer sur le fil de la musique. La gestuelle minimaliste et circulaire d’Annick Pütz – avec les bras et les jambes qui dessinent des figures géométriques, les pirouettes bien ancrées dans le sol, les images suggestives – vient comme rassembler les énergies à l’œuvre, avant que celles-ci ne se déploient dans une nouvelle direction.

« Drawing on Steve Reich » de Stéphane Ghislain Roussel avec l’Ensemble Lucilin et Annick Pütz (photo: Paula Onet)

Ainsi les corps, les mouvements, les couleurs et l’objet visuel s’inscrivent comme des strates supplémentaires sur la musique du compositeur, jusqu’à recomposer un nouvel équilibre lorsque le flux sonore s’arrête et que reste l’image de l’œil au centre de la scène.

Avec Drawing on Steve Reich, le musicien, musicologue, curateur et metteur en scène Stéphane Ghislain Roussel poursuit un travail d’explorateur extrêmement stimulant. Voilà un jeune artiste qui sait puiser avec intelligence et sensibilité dans le patrimoine artistique pour élargir nos horizons.

Marie-Laure Rolland

À voir au Centre Pompidou-Metz

A voir aussi jusqu’au 27 janvier 2020 au Centre Pompidou-Metz l’exposition Opéra Monde, la quête d’un art total, réalisée sous le commissariat de Stéphane Ghislain Roussel. Un parcours en dix étapes explore la manière dont les arts visuels et l’opéra ont dialogué depuis le XXème siècle. Dans la galerie de la troisième étage du musée, des maquettes, dessins, peintures vidéos, costumes et accessoires montrent comment les plus grands artistes ont contribué à apporter leur regard contemporain sur des œuvres majeures du répertoire, par des procédés allant parfois jusqu’à la démesure. On y retrouve une évocation des Ballets russes dans l’Opéra « Le Coq d’Or » de Rimski-Korsakov, Pina Bausch dans « Barbe Bleue » de Bela Bartok ou encore Lucinda Childs dans « Einstein on the Beach » de Philip Glass.

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