L’adresse du studio n’a pas changé depuis 40 ans. Le 104 avenue Victor Hugo à Luxembourg a vu passer des générations d’élèves de danse jazz, hip hop, ballet ou fitness, parmi lesquelles plusieurs sont devenues des artistes reconnues. Si Hélène van den Kerchove n’enseigne plus, la fondatrice de Helen’s Dance est toujours l’âme du lieu et l’inspiratrice des spectacles hors norme qui ont été présentés au fil du temps sur la scène du Grand Théâtre.
par Marie-Laure Rolland
A step in the air : le nom du spectacle imaginé pour fêter les 40 ans de son école de danse est extrait d’un texte de la poétesse allemande Hilde Domin (1909-2006) – « J’ai mis mon pied sur l’air et j’ai réalisé qu’il me portait ». Une phrase vibrante pour Hélène van den Kerchove : «Il faut oser voir le possible au-delà des limites qui nous entravent», dit-elle. Durant quatre décennies, elle n’a eu de cesse de faire de son école « un plateau de danse » qui stimule la créativité et la sensibilité de ses élèves. C’était l’essentiel, bien avant la perfection de leur technique en jazz, ballet ou hip hop.
Aujourd’hui encore, Helen’s Dance est un projet atypique dans le paysage de la danse au Luxembourg. Bon nombre d’artistes reconnues sont passées par ce studio avant de se professionnaliser dans l’univers du théâtre, de la danse, des arts décoratifs ou plastiques. Le livre anniversaire publié à l’occasion des 40 ans de l’école cite entre autres la danseuse de hip hop Kendra Horsburgh qui fait aujourd’hui sa carrière à Londres, mais aussi la comédienne et chanteuse Sascha Ley, la metteuse en scène Anne Simon, les actrices Nora Koenig et Elsa Rauchs, les artistes plasticiennes Nina Thomas, Lisa Kohl et Monique Becker, la décoratrice Michèle Tonteling ou encore la créatrice lumière Nina Schäfer.
Un besoin de créer
La dame en noir qui m’accueille dans sa maison à la lisière de la forêt du Bambësch n’est plus la jeune fille exubérante qui osait ouvrir sa propre école à 23 ans, partageant avec son frère Rick van den Kerchove des rêves de mondes à créer. Celui-ci a signé ses décors et affiches emblématiques des années 80 et 90, avant de s’envoler vers d’autres cieux. Une perte douloureuse, avant d’autres départs qui ont progressivement dépeuplé la table de sa salle à manger. Le corps d’Hélène s’est arrondi, son pas s’est ralenti, comme pour absorber les chocs. Mais la source créative ne s’est pas tarie.
Celle qui a fait une carrière de pédagogue est avant tout une bâtisseuse d’images animées en trois dimensions, qui utilise les corps à la manière des couleurs sur une toile. Elle-même ne se voit pas comme une danseuse : «Je n’ai jamais eu une technique extraordinaire».
Sa carrière dans cette discipline s’est décidée un peu par hasard au sein d’une famille d’artistes. Elle a grandi entourée de son grand-père maternel, l’écrivain Lucien Koenig dit Siggy vu Lëtzebuerg (1888-1961), dont l’épouse était peintre, mais aussi de son père le peintre flamand Robert van den Kerchove, et bien sûr de Rick, «l’artiste dans tous les sens du mot, à la fois sublime et difficile». Le choix de la danse se fera «un peu par défaut. Je sentais que je devais créer mais il y avait déjà beaucoup de peintres dans la famille». Elle opte donc pour une autre voie.
Une vie en couleurs
« Quand je vois les images que j’ai créées… il en faut de l’énergie ! » dit-elle en feuilletant les pages de son livre anniversaire. Peu de chorégraphes au Luxembourg sont capables comme elle de mettre en scène plusieurs centaines de performeurs de toutes disciplines et de tous âges sur un plateau. Elle assume la direction artistique de ses spectacles, avec la complicité des professeurs de son école – actuellement Polina Laktionova pour le ballet, Joëlle Traufler, Laura di Ronco et Paola Roberto pour le jazz ainsi que le contemporain, sans oublier le trio Alex Lopez, Joanna Ferreira et Randy Rocha pour le Hip Hop.
Parmi les spectacles qui ont fait date au fil des quatre décennies passées, on peut citer Saga dans la superbe scénographie architecturale de Rick van den Kerchove (1986), l’aventure préhistorique Almogaren (1995), la superproduction Once upon the story sur la scène rénovée du Grand théâtre (2005), UR, The rebirth of the faun (2009), Augustine avec la Chorale « Heemelsdeiercher » de Limpertsberg (2013) ou encore Orbis Pictus qui fait la part belle au hip hop (2017). Sans oublier la participation à des manifestations officielles comme la mise en scène de la cérémonie d’ouverture du Centre National Sportif et Culturel de Luxembourg – Kirchberg (2002) ou la création à l’occasion du 100ème anniversaire du Comité Olympique et Sportif de Luxembourg (2012).
Echappées belles
Ses spectacles se sont adaptés à l’air du temps. Dès 1988, elle invitait deux danseurs professionnels de hip hop dans son ballet intitulé Princess of Tales. Bien avant la mode des spectacles «participatifs», ses élèves ont côtoyé des danseuses accomplies et inspirantes comme Anu Sistonen (ballet/contemporain) ou Andrea Böge (hip hop), l’écrivain Men Maas ou encore les musiciens Charles Suberville et André Mergenthaler. Et comme elle puise son inspiration à toutes les sources, l’équipe du Ready Café de Limperstberg, un lieu qu’elle affectionne particulièrement pour sa convivialité, sera sur scène dans A step in the air.
Et après ? «J’ai déjà un prochain spectacle en tête que je voudrais faire », dit Hélène van den Kerchove. Elle pense aussi à prendre davantage de recul par rapport à l’école, à en déléguer davantage la gestion quotidienne pour se concentrer sur sa direction artistique. Et puis, il y a cette autre passion de toujours pour les chevaux islandais. «J’ai dû un peu les délaisser ces derniers temps, mais j’ai envie de m’y remettre». La Princess of Tales, qui chevauchait une licorne sur l’affiche de son spectacle de 1988, ne manque pas de nouveaux horizons à explorer.
A Step in the Air : Ballet anniversaire des 40 ans de l’école Helen’s Dance, le 8 juillet à 19h, le 9 juillet à 14h et 19 h au Grand Théâtre de Luxembourg. Informations et réservations en cliquant ici.