Le Grand Théâtre de Luxembourg présente en première mondiale La disparition, une pièce pour 13 danseurs signée par le chorégraphe Emio Greco et le metteur en scène Pieter C. Scholten pour le Ballet de Marseille. Cette très belle création, portée par un ensemble qui ne lâche rien, est présentée alors que l’avenir du ballet créé en 1972 par Roland Petit est hypothéqué.
C’est une page blanche qui clôt Disparition. La scène, les murs, les danseurs, tout est immaculé. Dans cette scène finale, brève et forte, on ne sait si tout a été effacé ou si tout reste à écrire. Face au public, les danseurs sont statiques. Le mouvement a disparu. Les artistes plantent leur regard dans celui des spectateurs. C’est à chacun d’imaginer la suite de l’histoire.
Lors de l’avant-première à laquelle nous avons assisté, l’atmosphère était un curieux mélange d’émotion et de joyeuse vitalité à l’issue de la représentation. « C’est l’euphorie de la création », commentait Emio Greco.
Pour lui et Pieter C. Scholten, qui ont passé quatre ans à la tête du ballet de la cité phocéenne, l’aventure va continuer au sein de la compagnie ICK qu’ils ont créée il y a dix ans à Amsterdam afin d’en faire un centre de création transdisciplinaire autour de la danse. L’avenir du Ballet de Marseille et de son répertoire, conçu sous la houlette de Roland Petit (1972-1998), Marie-Claude Pietragalla (1998-2004), Frédéric Flamand (2004-2014) et Emio Greco et Pieter C. Scholten (2014-2018), reste incertain, après une histoire mouvementée. Il est question à ce jour d’en faire un centre expérimental dédié à la jeunesse.
La force de la fragilité
La jeunesse est précisément au cœur du premier volet du diptyque Apparition / Disparition que l’on a pu découvrir au cours de la semaine de résidence du Ballet de Marseille au Grand Théâtre de Luxembourg.
Accompagné d’un piano, un chœur de 12 enfants – ici celui du Conservatoire de Luxembourg sous la direction de Sylvie Serra – interprète les émouvants Totenlieder de Gustav Mahler. Six danseurs interviennent en second plan dans ce voyage onirique et poétique où des enfants en poncho jaune croisent des loups monstrueux par des nuits de pleine lune. Il y est question de la fragilité de la vie et de la force des rêves, d’une certaine innocence aussi qui peut continuer à nous mouvoir et nous émouvoir à l’âge adulte.
Baroud d’honneur
Dans Disparition, les enfants et la musique live s’éclipsent. La danse reprend tous ses droits sous les spotlights bleus, rouges puis jaunes. La bande son joue dans ce registre pop rock avec des tubes cultes on l’on reconnaîtra Queens, David Bowie, Blondie ou les Rolling Stones pour n’en citer que quelques-uns. Tant qu’à disparaître, autant ne pas lésiner sur les droits d’auteur ! Ces standards sont remixés brillamment par Pieter C. Scholten et Salvador Breed qui y instillent des éléments d’Apparition – les chuchotements des enfants, les sifflements ou battements d’ailes qui semblent frôler les spectateurs par un effet de spatialisation du son.
La scénographie est minimaliste. Seul un néon rectangulaire surplombe la scène et structure l’espace selon sa hauteur. Les jeux de lumière, de vidéos et de captation en direct des mouvements des danseurs – remixés en éléments visuels projetés en fond de scène – esquissent une trame géométrique épurée.
Cette esthétique tranche avec le vocabulaire chorégraphique expressionniste de Emio Greco. Le plus surprenant est que l’alchimie fonctionne. Comme si ce langage très volubile, passionné, par moment explosif, trouvait là l’écrin adéquat pour un impact maximal. Vélocité et souplesse sont les points forts des danseurs qui semblent moins à l’aise dans les scènes plus calmes ou les mouvements d’ensemble du début. Leur montée en puissance au fil du spectacle affirme leur présence dans cette pièce en forme de baroud d’honneur où l’on aura bien compris que, pour eux, il n’est pas question de désertion.
Marie-Laure Rolland
Plus d’informations sur la résidence du Ballet de Marseille au Grand Théâtre de Luxembourg et les horaires des représentations en cliquant ici.