La Rolling Stone d’Elisabeth Schilling

par Marie-Laure Rolland

Cela fait plus d’un an qu’elle roule sa boule sur les routes d’Europe. Avec ce drôle de compagnon, Elisabeth Schilling a créé Sixfold en mai 2017 au Trois C-L. Une tournée l’a ensuite conduite de Chypre aux îles Shetland. Cela lui permis de roder son spectacle mais aussi de réfléchir à sa propre trajectoire. Elle se confie lors d’un entretien réalisé avant la présentation de sa pièce au Mudam.

Ce matin-là, la silhouette longiligne d’Elisabeth Schilling, posée sur ses pieds légèrement ouverts de danseuse formée à l’école du ballet classique, se détache comme un point d’exclamation sur la pierre blanche du musée. Elle est venue réfléchir à la manière présenter Sixfold dans l’espace réservé au pied de l’escalier monumental qui descend au sous-sol.

«L’architecture de Ieoh Ming Pei est très présente ici. A cela s’ajoute la contrainte de devoir être face au public. Je pense toutefois avoir trouvé une solution», dit celle qui a dansé  Sixfold dans une quarantaine d’ endroits « les plus improbables » – théâtres mais aussi galeries d’art, écoles, en plein air. « Cette diversité fait partie du projet. Je voulais précisément montrer la pièce à des gens qui n’ont jamais vu de danse contemporaine ».

Nouer le dialogue avec le public

Comment le public réagit-il à cette proposition insolite et poétique, où l’on voit une danseuse dialoguer avec une sorte de grosse pierre ronde qui parfois se met à bouger de manière autonome ? «J’ai remarqué que les gens n’osent pas toujours s’exprimer. Ils disent qu’ils ne connaissent pas la danse et qu’ils n’y comprennent rien. C’est la raison pour laquelle j’ai développé une méthode qui permet de nouer le dialogue ».

Lors des ateliers proposés en marge de ses spectacles, elle distribue un trousseau de questions imprimées sur du papier, qui sert de base à l’échange. On peut y lire par exemple : à quoi vous fait penser la boule ? Comment réagissez-vous à la musique ? Pensez-vous que la pièce pourrait être plus longue ? Pour elle, « il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse. Chaque interprétation est pertinente. Ce qui compte est que les gens réagissent de manière créative à la pièce ».

Ce souci de dialogue avec le spectateur est inhérent au travail de l’artiste. Néanmoins, l’élément moteur de ses créations reste sa liberté artistique. « Je fais une pièce parce que je veux exprimer quelque chose, pas pour divertir le public ». Dans le cas de Sixfold, il s’agissait d’explorer la relation entre un objet et la danse. « C’est quelque chose que je n’avais jamais fait jusqu’à présent et qui manquait à la palette des expériences dont j’ai besoin pour développer mon travail de chorégraphe».

 

Sourire charmeur et volonté de fer

A discuter avec Elisabeth Schilling, on se rend vite compte que son sourire charmant et sa spontanéité pétillante habillent une volonté de fer. Il en faut pour avoir parcouru, à 29 ans, un chemin tel que le sien.

A l’âge de 16 ans, elle quitte sa famille et la petite ville de Wittlich, dans le sud de l’Eifel en Allemagne, pour poursuivre une formation de danseuse classique à Francfort. «C’est là que j’ai découvert les ballets de William Forsythe. Un choc émotionnel pour moi qui n’avait quasiment pas de culture chorégraphique ».

A 19 ans, elle s’envole pour Londres où elle entre au Trinity Laban Conservatoire of Music and Dance et à la London Contemporary Dance School. « Pour la première fois de ma vie, j’ai eu l’impression de ne plus être seule, de rencontrer d’autres âmes d’artistes ». Parmi celles-ci, la Luxembourgeoise Simone Mousset grâce à laquelle elle est introduite au Trois C-L, tout d’abord comme danseuse puis comme chorégraphe dans le cadre du projet Emergences.

Elisabeth Schilling (photo: Bohumil Kosthoryz)

Au fil des années, Elisabeth Schilling a enchaîné les contrats de danseuse pour une trentaine de chorégraphes européens, principalement en Grande-Bretagne mais également en Europe continentale. « J’essaie d’accumuler un maximum d’expériences au sein des compagnies. Cela nourrit mon inspiration. J’apprends aussi comment se développe les compétences de leadership qui pourront me servir si je veux développer des projets chorégraphiques plus importants », dit celle qui s’exprime aussi bien en allemand qu’en français ou anglais.

Si elle « adore la danse et adore danser », elle se sent de plus en plus attirée vers la chorégraphie. « J’ai encore en mémoire ce que l’on me disait lorsque j’étais jeune : Elisabeth tu n’es pas une danseuse, tu es une artiste ! » Pour construire ce travail, elle a développé une méthode de recherche qu’elle a dénommée Manifold, où il s’agit d’explorer six dimensions particulières avec lesquelles le corps peut se mouvoir dans l’espace.

« Un travail énorme »

Ses projets actuels ? Continuer à faire tourner Sixfold, au-delà de la quarantaine de dates déjà à l’agenda, dates qu’elle est allée chercher elle-même, armée du carnet d’adresses international qu’elle s’est constitué au fil de sa carrière. « On n’a rien sans rien. C’est un travail énorme qui parfois est frustrant car je préfèrerais me concentrer sur la création plus que sur la production ou l’administration».

A côté de son engagement actuel au sein de la compagnie interdisciplinaire Clod Ensemble de Londres, elle a aussi une nouvelle production en tête. On n’en saura pas plus à ce stade. «Les discussions sont en cours ».

Les 19 et 20 mai, elle mettra ses pas dans ceux de la grande chorégraphe flamande Anne Teresa de Keersmaeker qui avait présenté il y a un mois au Mudam «Work/Travail/Arbeid». Ce qui ne lui fait pas tourner la tête. « Je ne me mets pas de pression par rapport à cela. Elle, c’est la superstar. Moi je suis au début de ma carrière ».

Marie-Laure Rolland

Sixfold, les 19 et 20 au Mudam. Plus d’informations en cliquant ici.

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