Sa réussite n’est pas du goût de tous. Pour certains, l’école de danse de Li Marteling témoigne d’un sens du business bien développé qui fait accepter à sa directrice des cours surchargés. Pour d’autres, elle doit son succès à une pédagogie qui laisse la place à chacun, quels que soient ses talents. Alors que débute ce soir le marathon des six représentions du spectacle de fin d’année, Li Marteling fête les 40 ans de son école. A 64 ans, la silhouette élancée et le visage à peine marqué par les années, elle danse toujours et accueille dans ses studios une troisième génération d’élèves. Nous l’avons rencontrée pour revisiter ce parcours hors du commun.
Li Marteling, pouvez-vous nous expliquer comment a débuté votre parcours dans la danse ?
J’ai démarré à l’Ecole de danse Germaine Damar à Esch. Durant mon adolescence, ma vie tournait autour de la danse. J’habitais Bettembourg et allais au Lycée Michel Rodange dans la journée, puis jusqu’à l’école de danse à Esch après les cours. Cela tous les jours. C’était intensif. Je me levais à quatre heures du matin pour étudier avant d’allerau lycée. J’ai continué à Paris en 1974, à l’Ecole supérieure d’études chorégraphiques, qui préparait au professorat.
Il était clair dès le début que vous vouliez enseigner?
Oui. A cette époque je faisais de la danse classique. Il n’y avait pas de cours de jazz dans mon école. Je l’ai appris en suivant le soir des cours de la danseuse américaine Molly Molloy, qui était basée à Paris. Le premier cours de jazz a été donné dans les années 1950 aux Etats-Unis et cette discipline est arrivée en 1960 en Europe. Certains pensaient que c’était une mode qui allait passer. Moi, cela m’a absolument fascinée.
Pourquoi?
Parce que cela me donnait la possibilité de m’exprimer autrement, de façon plus dynamique.
Combien de temps êtes-vous restée à Paris ?
Trois ans à l’École supérieure puis une année comme enseignante à l’École Catherine Cardinaux, en classique et jazz. A l’époque, la plupart des professeurs étaient assez âgés. C’était d’anciens danseurs qui poursuivaient leur carrière comme professeur.
Très vite, vous êtes revenue au Luxembourg et avez créé votre propre école. Pourquoi ?
Comme nos cours fonctionnaient bien, je me suis dit que je pourrais aussi le faire chez moi. J’étais choquée que les amateurs ne soient pas traités comme les professionnels. Ils avaient les petites salles, les cours ne commençaient pas à l’heure. Pour moi, un cours de danse est un cours de danse, peu importe le statut du danseur. Mon rêve de jeune fille était de faire des cours pour des amateurs, mais avec le même sérieux que pour des professionnels. Il y a 40 ans, c’était loin d’être normal.
Y avait-il déjà des cours de danse au Conservatoire de Luxembourg ?
Oui, ils venaient d’être ouverts par Christiane Eifes, qui avait fait quelques années avant moi la même école à Paris.
En 1978, vous n’aviez que 24 ans. N’était-ce pas osé pour une jeune fille d’ouvrir sa propre école de danse ?
Mes parents sont tombés à la renverse lorsque je leur ai annoncé cela ! Ma mère était commerçante. Mon père était employé de bureau. Ils ne connaissaient pas le monde de la danse. Passée la surprise, ils m’ont soutenue comme ils l’avaient toujours fait auparavant. Cela contrairement à notre entourage qui ne comprenait pas du tout.
Comment se sont passés les débuts ? Il ne s’agissait pas seulement de donner des cours, mais aussi de gérer une école…
J’étais rue Goethe, près du Pont Adolphe. Je crois que j’étais trop jeune pour savoir ce qui m’attendait vraiment. En 1978, le statut des femmes n’était pas du tout le même qu’aujourd’hui. Très peu de filles partaient étudier à l’étranger. Dans ma promotion, on était 2 sur 42.
Vous étiez un peu une extra-terrestre en quelque sorte ?
Oui. Avec un peu un sentiment de solitude parce que beaucoup ne me comprenaient pas, ou n’osaient pas me demander ce que je faisais. Et puis je donnais cours tous les jours de la semaine, du matin au soir, y compris le week-end. En fin de compte, les seuls qui me comprenaient étaient mes élèves, parce que eux me voyaient en action.
Le succès a-t-il été rapide ?
Très rapide. J’ai été la première à proposer des cours de jazz dans le pays. J’ai ouvert en septembre 2018 avec sept cours. A la fin de l’année j’en avais 35, en jazz et classique. J’habitais dans l’école, comme une étudiante. Je ne faisais que cela et j’étais très heureuse. Cela a duré onze ans. J’ai déménagé en 1989 rue de Hollerich où j’avais deux studios et où je suis restée cinq ans. Là j’ai embauché d’autres professeurs de danse classique et de jazz. En 1994, je me suis installée à Merl et, en 2000, nous avons commencé avec les cours de hip hop. Nous offrons actuellement 80 cours dans les différentes disciplines.
En tant que pédagogue, quelle est votre relation aux enfants ?
Un enfant, c’est neutre. Il ne sait rien. Il faut l’éveiller, lui faire comprendre son corps. Dès que je rentre dans un cours, je sais tout de suite quelle est l’humeur de l’élève, s’il va bien ou pas. J’estime aussi qu’il ne faut pas mettre les meilleurs élèves devant sinon cela démotive ceux qui sont derrière. Je demande toujours à ce que l’on change les lignes et qu’il n’y ait pas de hiérarchie. C’est aussi le cas dans les chorégraphies. Il faut donner sa chance à chacune d’être devant, aussi pour que ses parents puissent la voir.
Fixez-vous des limites, par exemple concernant l’âge auquel un enfant peut commencer le hip hop ?
Je pense qu’il faut au moins attendre huit ans, même si je sais qu’aux Etats-Unis certains commencent beaucoup plus tôt. Pour le classique, c’est à partir de 6 ans. Le jazz, c’est 7 à 8 ans. Cela étant, un cours de classique à 6 ans n’est pas le même qu’à 12 ans.
Vous avez essentiellement comme élèves des jeunes filles. En 40 ans, diriez-vous qu’elles ont changé ?
Autrefois, elles n’avaient pas autant de choses à penser toute la journée. Elles n’avaient pas autant de messages à gérer ou d’activités à faire. Elles sont plus difficiles à canaliser. C’est à nous de les calmer au début du cours. Je dirais aussi qu’aujourd’hui les enfants ont le droit de dire si danser leur plaît ou pas. Et si quelque chose ne leur va pas, ils l’expriment. Cela demande parfois plus d’explications pour certains exercices techniques. On est dans l’échange.
Vous êtes épanouie dans votre métier, mais y a-t-il aussi des côtés difficiles à gérer ?
Faire le spectacle de fin d’année n’est pas quelque chose d’évident. On se demande toujours si on va avoir de nouvelles idées, si les costumes vont arriver à temps, comment les enfants vont réagir. Il faut aussi faire tous les jours la barre pour être en forme physiquement, y compris en vacances. Contrairement à ce que certains pensent, faire de la danse professionnellement n’est pas un hobby, c’est un métier exigeant.
Vous-même n’avez jamais arrêté de danser ?
Jamais. Je continue à aller quatre à cinq fois par an à New York pour prendre des cours, puisque ma fille Cathy Moes a repris il y a cinq ans la direction de l’école. Lorsque j’étais plus jeune et sans enfant, j’y partais durant toute la période estivale, dès que l’école était fermée. J’allais chez Frank Hatchett, qui a été le professeur des plus grands et qui est décédé en 2013. Il disait toujours que j’étais « sa fille blanche ». Il faut imaginer l’ambiance des cours dans les années 80 à New York. Il y avait un orchestre. Le cours était un spectacle. C’était explosif !
Aujourd’hui, êtes-vous plus vigilante lorsque vous dansez ?
A New York, je prends un à deux cours par jour. Dans le temps, c’était quatre à cinq. Je sais que mon corps a besoin de plus de temps pour récupérer. Tout est ralenti, mais cela continue.
Vous n’avez jamais eu envie d’arrêter ?
Jamais, jamais, jamais ! Ce n’est pas dans mon caractère. Je me réjouis de la rentrée et de retrouver les enfants. D’autant que maintenant je n’ai plus à m’occuper de la gestion et de l’administration ! Je peux entièrement me faire plaisir.
Propos recueillis par Marie-Laure Rolland
«JUST DANCING ’18» au Grand Théâtre de Luxembourg, du 4 au 8 juillet 2018. Le spectacle est sold out.