Luxembourg Ballet : un casting d’exception revisite Don Juan

par Marie-Laure Rolland

Quatre danseurs ukrainiens, parmi lesquels Natalia Matsak et Sergey Kryvokon, danseurs étoiles de l’Opéra national d’Ukraine, figurent à l’affiche de Don Juan, une pièce pour 11 danseurs chorégraphiée par Volha Kastsel. Une rare occasion de voir une oeuvre néo-classique créée au Luxembourg. 

par Marie-Laure Rolland

On danse toujours à l’Opéra de Kiev, malgré les sirènes d’alarme qui continuent de rythmer la vie des habitants de la capitale ukrainienne et la guerre qui fait rage dans l’Est du pays. Aussi est-ce une chance exceptionnelle pour le public luxembourgeois que Natalia Matsak et Sergey Kryvokon aient accepté de se joindre à la production – somme toute modeste en comparaison de leur cadre de travail habituel – du Luxembourg Ballet.

L’événement est malheureusement resté un peu sous le radar du public lors des deux seules représentations à l’affiche au CAPE d’Ettelbrück. En revanche, le premier conseiller du ministère de la Culture, Jo Kox, a fait le déplacement. Une bonne nouvelle, alors que des réflexions sont en cours autour d’une future Maison de la Danse dont on voit mal comment elle pourrait faire l’impasse sur la danse classique.

Ego trip

Don Juan est la deuxième création de cette nouvelle compagnie fondée par la chorégraphe Volha Kastsel et la danseuse Victoria Tvardovskaya, deux artistes d’origine biélorusse qui ont travaillé sur les plus grandes scènes internationales avant de s’installer au Luxembourg. J’avais beaucoup aimé la manière dont Volha Kastsel avait revisité Casse-Noisette sur la scène du Château de Vianden en décembre 2021, avec trois danseurs et trois musiciens.

Son Don Juan  passe à la vitesse supérieure avec 11 danseurs sur scène, qui pour la plupart n’avaient jamais travaillé ensemble. L’alchimie fonctionne, signe du professionnalisme des interprètes qui ont eu moins de cinq semaines pour assembler ce ballet néo-classique aux accents contemporains. La pièce interroge en filigrane la mise en scène de soi et l’hédonisme dans l’environnement voyeuriste des réseaux sociaux – matérialisés par d’énormes yeux suspendus au-dessus de la scène.

Don Juan (un Sergey Kryvokon ténébreux), mais aussi son double opportuniste et manipulateur Sganarelle (Oleksey Busko), n’ont pas la partie facile pour mener à bien leurs conquêtes. Les faux-semblants et jeux de séduction se succèdent en moults péripéties et renversements  de rapports de force. Sous leurs voiles de tulle, les jeunes mariées abusées (Susanne Wessel, Sofia Binetti, Carine Baccega, Alice Brunner et Laura Guessan) n’ont pas dit leur dernier mot.

La chorégraphie fait la part belle aux portés acrobatiques dans lesquels excelle en particulier Victoria Tvardovskaya dans le rôle de Mathurine, la jeune paysanne qui rêve d’épouser Don Juan et s’y accroche à toute force.

Le couple Charlotte-Pierrot, très complice, a la fraîcheur joyeuse et spontanée des premiers amours. L’interprétation d’Ekaterina Provalinskaya et d’Artem Shoshin fait souffler un vent virevoltant et impertinent sur la scène.

Un couple magnétique

Ce duo contraste avec le magnétique couple formé par Sergey Kryvokon et Natalia Matsak en Donna Elvira. L’un des temps forts de la pièce est l’entrée en scène de la danseuse étoile, toute de noire vêtue, d’un pas souverain. Cette apparition suffit à suspendre le temps, à absorber l’énergie de la salle autour de sa personne. Cette même émotion culmine dans le magnifique pas de deux qu’elle interprète avec Sergey Kryvokon sur l’adagio du concerto pour piano n° 23 de Mozart, lequel ne pâlit pas de la comparaison avec la fameuse scène de L’Envol signée  par Preljocaj sur cette même musique dans Le Parc.

« Don Juan » de Volha Kastsel avec Natalia Matsak et Sergey Kryvokon (photo: Christian Kieffer)

Leur complicité rayonne dans l’évidence de leurs gestes, dans la fluidité des portés, dans la vibration qui émane de leurs corps enchevêtrés. La figure de Don Juan prend dès lors un tour beaucoup plus tragique que ne le laissait présager son assurance de beau mâle en début de spectacle. Le seul regard qui vaille n’est-il pas celui de l’amour ?

On peut se réjouir que ce Don Juan ait été accueilli au CAPE d’Ettelbrück. Seul bémol : il est dommage que d’autres coproducteurs ne se soient pas engagés sur ce projet qui aurait mérité davantage de moyens, notamment techniques.

 

 

 

 

 

 

 

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