« Gloria » de José Montalvo : entre appropriation culturelle et fin du monde

par Marie-Laure Rolland

José Montalvo a toujours pratiqué le mélange des genres artistiques et culturels. Il enfonce le clou dans Gloria. Une ode à la liberté et à la vie qui résonne aussi comme un manifeste joyeusement désespéré.

par Marie-Laure Rolland

Ce spectacle claque comme un gros coup de vent, une bouffée d’oxygène qui fait virevolter les couleurs de peau, tailles, poids, sexes mais aussi cultures ou origines sociales des 16 interprètes réunis par le chorégraphe. José Montalvo ne se contente plus de faire dialoguer ses danseurs de différents horizons – hip hop, flamenco, classique ou contemporain – comme on a pu le voir dans ses précédents spectacles. Cette fois, ils s’approprient tous les genres sans le moindre complexe.

Les danseurs de hip hop ou de danse classique se mettent au flamenco et réciproquement. Et pourquoi pas danser avec des pointes sur fond de tam-tam ? Il suffit d’en avoir l’envie. Tout se mélange au rythme endiablé de la musique des Balkans, au son des percussions africaines ou d’un prélude de Bach. L’appropriation n’est pas ici usurpation ou abus du pouvoir mais une forme de communion autour d’une même envie de se sentir libre et vivant. Un champ d’expérimentation où il ne s’agit pas d’être le plus performant mais le plus authentique.

Cette revendication fait écho à l’histoire personnelle de José Montalvo. Celui qui dirige la Maison des Arts de Créteil, après avoir été à la tête du Théâtre de Chaillot à Paris, n’a jamais oublié les fiestas que ses parents, des réfugiés politiques espagnols fuyant le franquisme, organisaient avec d’autres exilés de toutes origines dans la France des années 50.

Quand certains voudraient confiner chacun dans sa case, avec interdiction de se pencher au-delà de la zone assignée à sa naissance, ces danseurs revendiquent le droit de franchir les lignes. Les interprètes se saisissent à tour de rôle du micro pour dire qui ils sont, pourquoi ils sont fiers de danser malgré les obstacles dressés sur leur route : jugés trop gros, trop maigre, trop efféminé, trop handicapé, trop âgé…  Entre auto-dérision et affirmation de soi, ils clament et chantent leur fierté d’être parvenus à être là, devant nous. Leur danse jubile, déboule à haut tempo, tourbillonne dans un feu d’artifice qui parfois reprend son souffle.

Ce manifeste ne va pas de soi. « J’ai des gros seins et je les aime parce que ce sont mes seins ! », dit une danseuse qui enlève le haut, bientôt rejointe par d’autres partenaires. S’ensuit une chorégraphie drolatique et assez émouvante autour de ces fameux seins. En contrepoint, deux autres danseuses sur scène restent vêtues et se cachent pudiquement les yeux devant ce spectacle. José Montalvo semble ainsi reconnaître que cette aspiration à libération des moeurs  et des cultures n’est pas universelle. À côté de moi dans la salle ce soir-là, mon amie palestinienne n’avait pas les codes pour saisir l’humour de la scène des seins – qui l’a choquée – ni même le propos de la pièce dans son ensemble. Et je ne pense pas qu’elle en soit ressortie « convertie ».

Joyeusement désespéré

Derrière l’esthétique pop et bon-enfant de la pièce, le chorégraphe n’hésite d’ailleurs pas à pointer les failles de cette aspiration individualiste au bonheur et à l’épanouissement personnel.

En fond de scène, un écran géant projette un dessin figurant une barque en papier journal. « Tout est foutu. Soyons joyeux », peut-on lire sur la fragile coque. Ou encore : « Rassurons-nous, tout va mal ! » Que faire face aux nouvelles catastrophiques dont nous bombardent quotidiennement les médias : sombrer dans le désespoir ou continuer à y croire ? Dans cette galère viennent se superposer l’image du groupe des danseurs, filmés en live, ou des reproductions d’animaux. Dans l’attente d’un nouveau Noé ?

En 1981, Jeanne Moreau chantait : « Je suis le nombril du monde (…) je t’ignore/ tu m’ignores/ La lune aussi nous ignore/ c’est égal, c’est égal… ». Les danseurs chantent et chorégraphient cette mélodie, avant de demander au public d’en faire autant au moment des bis de fin de spectacle.

Au Grand Théâtre de Luxembourg, tout le monde a chanté à l’unisson, le sourire aux lèvres. L’image de l’orchestre du Titanic m’a traversé l’esprit. Lui aussi aura tenté de faire bonne figure jusqu’au bout.

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