ITA INFINITA d’Elisabeth Schilling : Bach on the road 

par Marie-Laure Rolland

Après sa pièce maîtresse autour des 18 études pour piano de Ligeti, la chorégraphe Elisabeth Schilling a imaginé, dans la même esthétique, une chorégraphie pour trois danseurs autour de la Partita n°1 pour violon de Bach. Une variation en petit format qui doit permettre à la pièce de voyager.

par Marie-Laure Rolland

Elisabeth Schilling n’a pas peur des défis. Elle l’a prouvé par la diversité de ses créations et projets artistiques réalisés à ce jour, par la manière aussi dont elle est capable de construire des ponts avec d’autres disciplines artistiques et avec le public. Les institutions culturelles se l’arrachent. Elle est actuellement artiste associée au Trifolion d’Echternach et au Grand Théâtre de Luxembourg.

Dans son parcours, HEAR EYES MOVE a fait date en 2021. Non seulement parce que cette pièce pour cinq danseurs lui a valu le Lëtzebuerger Danzpräis. Mais aussi parce qu’Elisabeth Schilling semble avoir trouvé là un langage gestuel qui peut lui servir de matrice de développement de nouvelles pièces. On le voit dans ITA INFINITA, sa nouvelle création.

Cette pièce a été créée le 7 octobre sur la scène du Trifolion d’Echternach avant de partir en tournée dans des écoles, maisons de soin, maisons de retraite ou foyers pour enfants de la région. Elle a été conçue dans un format allégé afin de pouvoir voyager, accompagnée d’un programme de médiation qui inclut même, comme « teaser » pour le public, une installation avec les hologrammes (signés Mad Trix) des danseurs .

Changement de perspectives

Le cadre de ITA INFINITA est très différent de celui de HEAR EYES MOVE, ce qui modifie sensiblement la perspective et les perceptions. Cette fois la scène est nue. Les trois danseurs évoluent à côté de la violoniste de l’Ensemble Lucilin, Winnie Cheng, debout devant un pupitre.

Leur langage gestuel vise à exprimer la texture et des couleurs de la musique de Bach, toute de subtilité, d’enchevêtrement des lignes mélodiques, de variations rythmiques. Leurs corps se combinent tels une seule entité mouvante, à géométrie et forme variables. Leurs mouvements individuels créent des chaînes de réactions en série, matérialisant d’une certaine manière le flux et les résonances sonores.

L’interprétation de la Partita n°1 pour violon de Bach par Winnie Cheng est époustouflante. Elle capte l’ouïe et attire forcément le regard. Au risque d’éclipser quelque peu les trois danseurs. On peut se demander pourquoi la chorégraphe n’a pas imaginé davantage d’interactions entre les danseurs et la musicienne. Anne-Teresa de Keersmaeker a résolu simplement le problème, pour sa pièce autour des suites pour violoncelle de Bach, en positionnant Jean-Guilhem Queyras au centre, tel un soleil autour duquel évoluent les danseurs.

Lignes claires

Une autre spécificité de la pièce tient au choix des costumes (signés Agnes Hamvas). Dans HEAR EYES MOVE, les jeux d’asymétrie, de forme et de couleurs des costumes font de la combinaison des corps une sorte de kaléidoscope en résonnance avec la musique. Ici, l’approche est beaucoup plus radicale. Les trois danseurs sont uniformément vêtus d’un juste-corps rose sur lequel se superpose une sorte de corset ajouré.

Cela rappelle l’approche de Merce Cunningham autour du corps visible et de la clarté des lignes, lequel exigeait de ses interprètes une technique acquise de haute lutte et une maîtrise parfaite de son vocabulaire gestuel. Or les interprètes de ITA INFINITA, malgré leurs qualités, ne sortent manifestement pas du même moule. Et ces nuances de style – avec un excellent Brian Ca à l’expression davantage classique que Piera Jovic et Malcolm Sutherland, plus « contemporains » – peuvent surprendre et brouiller l’effet d’uniformité de l’ensemble.

Sur le fil

Finalement, la difficulté de chorégraphier cette Suite de Bach tient à sa ligne mélodique qui reste en si bémol mineur durant les 30 minutes de la pièce. Cela offre beaucoup moins de ruptures dramatiques que les 18 études de Ligeti dans HEAR EYES MOVE, riches en changements de tonalités. Pour y remédier, Elisabeth Schilling a imaginé avec Winnie Cheng quelques interludes de musique contemporaine, introduits au fil huit des danses qui composent la Suite. C’est une bonne idée, qui aurait gagné à s’accompagner d’une évolution dramaturgique plus claire de l’écriture gestuelle. Cette pièce à l’esthétique abstraite est séduisante mais elle a du mal à éviter certains effets de redondance.

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