Les jeunes ont payé un lourd tribut à la pandémie de Covid-19. Non pas en termes de décès mais au niveau de leur santé mentale. Nathalie Moyen met en scène leurs maux dans une pièce de théâtre-dansé qui ne mâche pas leurs mots.
Par Marie-Laure Rolland
C’est l’histoire de voix et de corps en souffrance, en métamorphose et en quête de sens. WELL BEING – MENTAL NOISE est un spectacle documentaire fort, intelligent dans sa conception, touchant dans sa mise en scène, juste dans son interprétation. La chorégraphe et professeure de danse Nathalie Moyen, qui travaille de longue date avec des adolescents, a recueilli la parole – en français et luxembourgeois – de 160 lycéens pour donner naissance à trois personnages que j’ai pu découvrir sur la scène des Rotondes à Luxembourg. L’actrice Calypso Kerschen, le rappeur Thomas Faber alias Maz et le danseur de hip hop Benoît Callens nous entraînent au cœur des peurs, doutes, complexes, questionnements qui se percutent dans la tête des adolescents, à cette période cruciale qui les fait basculer de l’enfance à l’âge adulte.
Seuls certains témoignages de l’énorme corpus recueilli ont été exploités pour écrire le scénario. Il y est question du sens de la vie, de la peur de la mort, de l’angoisse de l’inconnu, de l’expérience de la solitude, du manque d’estime de soi, de la crainte du jugement des autres. On entend une soif d’amour et la peur de ne pas être à la hauteur. Jusqu’à la tentation du suicide qui n’est pas éludée.
Des extraits audio de conférences du psychopédagogue Bruno Humbeeck apportent en contre-point un cadre d’analyse à ces témoignages. Une manière de souligner qu’il faut les prendre au sérieux, tout en «déminant» ces angoisses en les faisant entrer dans une certaine normalité.
En quête de lumière
Au-delà des mots, il y a les corps mis en scène dans un dispositif à l’esthétique de jeu vidéo (une scénographie de Lynn Scheidweiler). Un tapis de sol noir sert de surface de projection à des formes psychédéliques. En son centre, un trampoline fait office de trou noir où l’on s’enfonce mais aussi de zone de rebond. Deux écrans vidéo suspendus au-dessus de la scène introduisent des témoignages filmés de lycéens, à la voix étouffée par leurs masques anti-covid (un crève-cœur de revoir ces images de visages baillonnés !). Trois cabanes en structure métallique – des abris ouverts à tous vents, parfois hostiles, parfois libérateurs – sont encadrées de rangées de spots et de néons qui soulignent les ombres accrochées aux corps (une création de Nico Tremblay et Yann Gelezuinas). Le tout baigne dans un flux électro-acoustique signé par Thomas Kuratli (Pyrit) qui module les tensions et atmosphères, ce «mental noise» dans lequel évoluent les protagonistes. De belles fulgurances rythmiques éclatent par moment, comme pour apporter une bouffée d’oxygène.
Les confidences des personnages s’accompagnent d’un langage gestuel qui souligne leurs mots. On voit leurs épaules rentrées, têtes baissées, mains torturées, et parfois l’énergie qui se relâche sous forme de saut, course, danse hip hop, rap enragé. Et puis les corps s’apprivoisent, se dévoilent de leurs couches d’habits informes, se touchent, se redressent.
Cette transition est le moment le plus critique du spectacle, car comment donner à voir en quelques minutes une mue qui peut mettre des années à s’opérer ? Les interprètes s’en sortent assez bien si l’on considère que Calypso Kerschen a repris en last minute le rôle de Jil Devresse.
Par delà l’adolescence
WELLBEING – MENTAL NOISE est une pièce commandée par le ministère luxembourgeois de l’Education nationale, de l’enfance et de la jeunesse, en marge d’un rapport (publié en juin 2021) qui a mis en lumière la dégradation de la santé mentale des jeunes pendant la pandémie. L’isolement et la surmortalité liée au virus ont accentué les manifestations d’anxiété, d’irritabilité, les troubles du sommeil, la phobie scolaire…
Les jeunes qui ont assisté à la représentation aux Rotondes ont souligné, dans l’échange qui a suivi, à quel point ces mots ont résonné en eux. L’adulte que je suis y a aussi trouvé les échos de ce bruit mental né à l’adolescence, qui ne nous quitte jamais tout-à-fait et que l’on doit apprendre à combattre. Un spectacle à la fois douloureux et éclairant, cash et réconfortant.