Deux ballets signés par la chorégraphe Laurence Bolsigner-May ont été présentés sur la scène du Kinneksbond un an après leur création à l’Opéra-Ballet de Metz avec l’Orchestre de Chambre du Luxembourg. Si Les amours d’Alexandre et de Roxane n’ont pas vraiment convaincu, le ballet a davantage brillé dans son Don Juan.
Les occasions d’assister au Luxembourg à des ballets accompagnés par un orchestre sont rares, aussi peut-on saluer le partenariat entre l’Opéra-Ballet de Metz, le Kinneksbond et l’Orchestre de Chambre du Luxembourg qui offre cette chance au public. L’année passée, le Mozart à 2 et le Carmen de Thierry Malandain étaient à l’affiche. On devrait découvrir la saison prochaine le chef d’œuvre de Glück, Orphée et Eurydice créé ce 15 mars à Metz.
Autre bonne nouvelle : les turbulences au sein de l’OCL ne l’empêchent pas de poursuivre ses projets sans directeur artistique ni chef principal, toujours en cours de recrutement. C’est Jean Halsdorf qui était à la baguette au Kinneksbond pour diriger les quelque 35 musiciens. Il nous a proposé une interprétation lumineuse des deux œuvres de Glück, sans fioriture ni excès d’humeur. L’exercice est loin d’être aisé car l’orchestre doit se mettre au tempo d’un ballet qui a répété sur une bande son enregistrée.
Hors contexte
La soirée s’est ouverte sur Les amours d’Alexandre et de Roxane. La pièce, écrite par Glück en 1764, s’inspire de l’histoire de la rencontre entre le conquérant venu de Macédoine et la belle Roxane, union qui d’après la légende devait sceller la fusion entre l’Europe et l’Asie. Le choix de Laurence Bolsigner-May de mettre l’accent sur le coup de foudre entre les deux personnages en occultant le contexte historique est assez décevant.
Le ballet se décline comme une sorte de conte de fées où la belle Roxane s’éprend sans états d’âme (ou à peine, vite refoulés) du conquistador qui vient soumettre son peuple. Les tuniques vaporeuses des danseuses soulignent leurs charmes et leur grâce. Mais à l’heure où l’opinion publique commence enfin à se mobiliser contre le viol comme arme de guerre, on a du mal à comprendre qu’il n’y ait ici pas la moindre allusion au martyr des femmes qui se trouvaient sur le chemin de ces héros glorifiés par l’histoire.
Dans la distribution, Rémy Isenmann est un Alexandre plus séduisant que dominateur. Il faut souligner la performance de Johanne Sauzade qui a dansé son rôle sans rien lâcher malgré une blessure la veille.
La revanche des femmes
La chorégraphie du Don Juan, composée par Glück en 1761, 16 ans avant l’opéra de Mozart, est beaucoup plus convaincante même si l’ensemble des 14 danseurs du Ballet de Metz n’a pas la puissance de la création magistrale signée en 2006 par Thierry Malandain pour les 22 danseurs du Ballet de Biarritz.
Derrière son apparent classicisme, ce Don Juan se fait un brin subversif. Le choix de Laurence Bolsigner-May de confier le rôle de l’âme du commandeur à une femme (Lisa Lanteri) permet de renverser le rapport de forces dans ce jeu de séduction où la femme est généralement l’éternelle soumise. Cette fois, on n’est pas dans le registre de la morale ou de l’honneur, mais de la vengeance. La gestuelle désarticulée du fantôme semble porter les stigmates de tous les corps outragés.
On retrouve aussi avec plaisir en Dona Elvire la ravissante Kim Maï Do Danh, habillée par un superbe costume d’inspiration vénitienne signé Valérian Antoine et Brice Lourenço qui dévoile par endroit la fragilité de la chair. Elle interprète une femme qui sait toucher par l’authenticité de ses sentiments.
Toutes deux sont les pivots de cette pièce où l’on voit virevolter avec espièglerie Timothée Bouloy en Sganarelle tandis que Clément Malczuk est un Don Juan qui fait le coq avec force démonstrations de pirouettes et sauts, comme porté par une force dont il n’est pas vraiment le maître et qui finit par le perdre. Un personnage dont la dimension psychologique n’est pas vraiment explorée et qui reste au niveau du stéréotype.
Marie-Laure Rolland