Il faut se rendre à la Biennale de la danse de Lyon pour découvrir la première de Welcome, le nouveau spectacle de l’acteur, auteur et metteur en scène Patrice Thibaud. Que nous ont concocté ce maître du burlesque, ses fidèles compagnons et la jeune recrue de l’équipe, la Luxembourgeoise Marianne Bourg? Au mois de juillet, l’équipe a répété durant deux semaines au Studio du Grand Théâtre de Luxembourg. L’occasion d’une rencontre.
Il en impose Patrice Thibaud. Le voir sur scène est une chose. Le rencontrer une autre. Le personnage est grand, massif, avec cette gueule des acteurs des années 50 qu’il affectionne. Le sourire en prime. Ah oui, il sait aussi être sérieux durant les interviews! Le temps est compté pour sa nouvelle production. «Un mois de travail, c’est très court mais on va y arriver», dit-il avec l’assurance de celui qui en a vu d’autres.
La chance balise le parcours de cet autodidacte. De rencontres en rencontres, il a bâti une carrière qui fait de lui l’un des artistes phares de la scène comique en France. Il a joué avec Alain Badiou et avec les créateurs des Deschiens, Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff. Il s’est même découvert un talent de danseur avec le chorégraphe José Montalvo, dont il a incarné le Don Quichotte du Trocadéro. Le Théâtre de Nîmes l’a nommé en 2015 artiste associé permanent.
Patrice Thibaud est aussi un auteur à succès qui, aux côtés de son inséparable partenaire le musicien Philippe Leygnac, a signé entre autres Fair Play, Cocorico, Jungles mais aussi Franito, où il donne la réplique au danseur de flamenco burlesque Fran Esposito, rencontré dans le Don Quichotte. Les deux étaient faits pour s’entendre. «Quand je vois Fran danser, je suis bouche bée», dit-il. Le danseur, formé notamment par Eva «La Yerbabuena » et Israel Galvan, fascine par la grâce de son corps petit et enveloppé, mais aussi sa manière de détourner les codes du flamenco dans l’humour.
Fran Esposito est bien évidemment du casting dans Welcome. «J’aime mixer les disciplines sur scène. Provoquer des rencontres inattendues. Me laisser surprendre. Pour moi le spectacle c’est la vie!», indique Patrice Thibaud. La vie, ou plutôt la mort dans Welcome où les personnages se retrouvent dans une sorte de purgatoire.
La vie, ici et maintenant
Que se passe-t-il entre la vie et la mort? «Je me suis posé la question lors du décès de mon cousin qui est parti en six mois. Pourquoi? À côté de cela, ma grand-mère de 96 ans vit toujours. C’était une incompréhension totale. Je ne l’ai pas acceptée. Alors j’ai eu envie d’en parler mais avec la touche d’humour et de burlesque qui fait partie de mon univers. J’ai voulu aussi y mettre de la beauté, de l’esthétique. En fin de compte, il ne s’agit pas de faire pleurer dans les chaumières. C’est plutôt une ode à la vie», confie l’artiste.
L’au-delà titillerait-il notre interlocuteur? Un peu, oui. Il n’est pas croyant mais reconnaît que «la religion rassure et aide à mieux vivre». Pour ce projet, il n’a pas hésité à se plonger dans des récits de fin de vie, «ces histoires de gens qui ont vu un tunnel de lumière… vous voyez?». Il ne sait pas s’il y a quelque chose après la mort mais «il n’est pas interdit d’espérer». Toujours est-il que «le paradis est ici et maintenant. Il faut le vivre pleinement».
Après une pause-déjeuner pas vraiment gastronomique à la cafeteria du Grand Théâtre de Luxembourg, l’équipe se retrouve au Studio. Chacun est mis à contribution pour créer une pièce qui était pratiquement une feuille blanche au début des répétitions. «J’ai démarré avec une idée générale, un début et une fin. Pour le reste, j’aime me laisser surprendre par les comédiens. On n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise», dit le metteur en scène.
Ce processus est exigeant pour ses interprètes. Philippe Leygnac, silhouette filiforme moulée dans un collant et bonnet sur la tête, est prié de traverser la scène en faisant des grands bonds. «Plus vite!» «Plus haut!» «Tu regardes le public!» «Oui là c’est bien». Après quatre passages, l’affaire est réglée. Fran Espisoto se présente tout de rouge vêtu: chaussures vernies, chaussettes montantes, short de velours, chemise bouffante et gilet satiné. Ses pieds martèlent le sol d’une rythmique facétieuse tandis que ses bras font de grands moulinets. Une fois l’essai lumière validé, il faut passer aux tests avec le système Kinect qui va permettre de jouer avec des effets vidéos. Imperturbable, l’artiste s’y prête sans rechigner tandis que ses partenaires – parmi lesquels Olivier Saladin, Jean-Michel Guérin, Lydie Alberto – attendent sagement sur les gradins.
Échange de bons procédés
La petite dernière de la bande est la Luxembourgeoise Marianne Bourg. La jeune femme, qui vit à Los Angeles et travaille surtout pour le cinéma, n’en revient toujours pas d’être dans ce casting: «Un ami m’a fait parvenir l’annonce à un moment où j’avais envie de renouer avec l’Europe. C’est un projet coproduit par des théâtres à Nîmes, où vit ma grand-mère, à Paris, où j’ai étudié et à Luxembourg, où j’ai grandi. Je me suis dit que c’était fait pour moi et j’ai sauté dans un avion pour l’audition».
Une intuition payante. «Elle a un visage blanc parfait pour mon spectacle. Elle représente une image séduisante de la mort», s’amuse Patrice Thibaud. À cela s’ajoutent ses compétences de chanteuse, d’adepte des arts martiaux, de danseuse et d’actrice multilingue. «La mort est internationale, non? Marianne parle aussi en luxembourgeois dans la pièce. C’est une langue étrange pour un public francophone. C’est intéressant pour le spectacle», note le metteur en scène. Voilà aussi qui permet d’entretenir les bonnes relations avec le directeur du Grand Théâtre de Luxembourg, Tom Leick, qui cherche à soutenir les artistes luxembourgeois en les associant à ses projets de coproductions européennes. «C’est tout à fait normal. Et puis il y a des personnages intéressants ici, des physiques, des gueules comme je les aime», dit Patrice Thibaud qui n’a pas hésité à surfer sur « l’exotisme » du Luxembourg pour la présentation du spectacle devant le public du Théâtre de Chaillot en juin dernier.
Sur scène, la joyeuse bande va tenter de nous entraîner dans son univers, entre enfer et paradis, un pays où chacun «évoquera de façon drôle, burlesque, poétique et tendre nos aspirations au bonheur et à ce petit nuage d’où, pleinement sereins, nous aimerions contempler le monde», note le dossier de production. Il ne précise pas comment s’effectuera l’atterrissage.
Marie-Laure Rolland
La première est prévue du 14 au 16 septembre 2018 dans le cadre de la Biennale de la danse de Lyon. Le spectacle part ensuite en tournée en France avec une étape les 21 et 22 novembre 2018 au Grand Théâtre de Luxembourg.