Rencontre : La leçon de flamenco de Leonor Leal

par Marie-Laure Rolland

Le festival de flamenco de Esch 2019 s’est ouvert avec J.R.T, une pièce qui revisite l’œuvre du peintre espagnol Julio Romero de Torres (1874-1930). Ses portraits de femmes andalouses reflètent «l’esprit du flamenco », d’après la danseuse Leonor Leal qui a participé à cette création. Que faut-il entendre par là ? Nous lui avons posé la question.

La pièce J.R.T peut désarçonner les non-initiés. Sur scène, trois danseuses (Leonor Leal, Sara Calero et Úrsula López), deux chanteuses, deux guitaristes, un percussionniste et un saxophoniste. A travers une succession de scènes très contrastées, le spectateur est entraîné dans une sorte de visite guidée d’une exposition où les tableaux s’animent sous les pas des danseuses. La musique flamenco prend des tonalités qui flirtent parfois avec le jazz où les mélodies orientales en vogue dans les années 20. Les costumes aussi évoquent l’ambiance des cabarets, la corrida, la procession de la Semaine sainte ou encore les salons mondains de la bonne société.

Nous retrouvons Leonor Leal au lendemain de la présentation de J.R.T. au Théâtre d’Esch, juste avant le cours donné au Centre de création chorégraphique de Luxembourg. Cheveux courts à la garçonne, la jeune femme aux allures iconoclastes est une fine connaisseuse de l’histoire de la danse en général, et du flamenco en particulier. Voilà l’occasion idéale de mieux comprendre la spécificité de cet art.

Leonor Leal, en quoi consiste « l’esprit flamenco » d’après vous ?

C’est une position esthétique face à la vie qui s’exprime à partir de l’art, de la danse, de la musique, du chant.

Pourriez-vous nous donner un exemple concret ?

Par exemple on parle beaucoup en flamenco de « remate », c’est-à-dire le détail qui fait la finition. En couture, c’est le point final, le nœud pour que tout reste bien en place. D’un point de vue de la danse, c’est un geste qui signifie mordre. Mordre dans la musique, dans l’air, pour qu’à la fin du geste tout soit bien fixé. Cela implique une auto-affirmation de l’artiste. On dit à travers cela : me voilà telle que je suis, avec mes qualités et mes limites.

Peut-on apprendre le flamenco si l’on doute de soi ?

C’est un processus de transmission à travers la pratique. Dans le flamenco, que ce soit la musique ou la danse, il y a une énergie qu’il faut apprendre à acquérir en la voyant chez les autres.

Le flamenco vient d’Espagne mais est dansé dans le monde entier. Vous-même donnez des cours à l’étranger. Comment se fait la transmission à d’autres cultures ?

La transmission ne consiste pas à apprendre les pas ou la technique, qui sont juste des outils. L’essentiel pour moi consiste à savoir utiliser l’énergie du flamenco, à acquérir cette attitude corporelle qui reflète une confiance en soi. Tout doit servir au but principal qui est de créer l’émotion. Souvent on utilise a contrario l’émotion pour faire du flamenco, mais je considère cela comme une erreur.

Parvenir à cet objectif nécessite sûrement un long apprentissage …

Le flamenco est aussi complexe que la société ou la vie. La technique, la musique, le rythme, les émotions, l’histoire du flamenco… ce sont autant de domaines que l’on peut approfondir pendant toute une vie.

Leonor Leal au Centre de création chorégraphique de Luxembourg (photo: Marie-Laure Rolland)

Dans J.R.T, vous dansez une séquence en costume d’homme et pieds nus. Faut-il y voir un lien avec le débat actuel sur la place des femmes ou sur le genre dans la société espagnole ?

Non, pas pour moi. Il faut savoir que dans les années 1920, les femmes dansaient habillées en hommes pour représenter le monde de la tauromachie. Il y avait aussi des danseurs qui s’habillaient en femmes. À cet époque, le flamenco était représenté dans un lieu appelé tablao, où il y avait des spectacles de variétés. On a oublié cela mais ce sont mes références dans J.R.T. J’ai essayé de me représenter comment on pouvait danser le flamenco à cette époque-là, même si bien sûr c’est utopique puisqu’on n’a pas d’enregistrement vidéo. Je me suis aussi inspirée des influences des autres types de danse à cette époque-là, comme Martha Graham qui a fait des chorégraphies sur de la musique flamenco.

Votre spectacle semble alterner des passages codifiés selon la tradition du flamenco, d’autres plus contemporains. Cela ne perturbe-t-il pas les puristes ?

Je joue sur les deux registres de la même manière que Julio Romero de Torres dans ses toiles. Mais pour moi le flamenco est toujours contemporain, c’est un art vivant, l’expression de la personne qui est en train de le danser à ce moment. Ce n’est pas la répétition d’un modèle. Les gens ont parfois tendance à considérer le flamenco comme un art traditionnel. Pourtant, au début du XXème siècle, une danseuse comme Antonia Merce La Argentina a révolutionné le flamenco selon les mêmes principes qui animaient Isodora Duncan à rompre avec l’enseignement de la danse classique. On l’a oublié et elle est aujourd’hui considérée comme « traditionnelle ». Pour ma part je trouve passionnant d’explorer ces parcours qui, chacun à leur époque, ont été contemporains.

Propos recueillis par Marie-Laure Rolland

Le programme du Flamenco Festival Esch 2019 est à retrouver en cliquant ici.

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