Sasha Waltz entre l’accessoire et l’essentiel

par Marie-Laure Rolland

Les Kreatur de Sasha Waltz ont envahi la scène du Grand Théâtre de Luxembourg durant deux jours. Cette pièce célèbre les 25 années de création de la chorégraphe allemande, au sommet de sa maîtrise technique. Paradoxalement, on peut se demander si le degré de sophistication atteint n’est pas trop poussé pour parvenir à transporter le spectateur sur les mêmes hauteurs.

Ce qui est fascinant chez Sasha Waltz, c’est sa capacité à toujours s’aventurer en terre inconnue, à expérimenter de nouveaux formats – que l’on pense à son splendide Didon et Enée d’après Purcell où une piscine était au cœur du dispositif scénique, à l’incroyable Insideout qui plaçait le spectateur au cœur d’une architecture où il déambulait en découvrant les danseurs aux recoins de différents espaces, ou encore à sa mise en scène de l’opéra Mastukaze créé au Luxembourg en 2011, où les danseurs chantaient tandis que les chanteurs dansaient.

Avec Kreatur, elle s’ouvre au design de mode dans une collaboration avec Iris van Herpen. Celle-ci a imaginé pour les 14 danseurs des costumes aux textures futuristes qui mettent en perspective le propos de la chorégraphe. La scène s’ouvre sur des danseurs vêtus d’une sorte de cocon de fibres blanches laissant apparaître les corps. Chacun est isolé dans sa bulle. Certains parviennent à trouver des stratégies de rencontre. Peu après, des sortes de plaques  d’aluminium – dont le format rappelle celui des écrans de téléphone portable – les entoure d’une fausse protection ; la lumière laisse apparaître en transparence les corps déformés et comme démultipliés. L’effet est impressionnant. On verra aussi une créature mythologique inspirée du porc-épic, portant sur le haut du corps et sur la tête ses piques avant de mettre bas les armes et de se dévoiler dans sa splendide nudité.

Ces tableaux se succèdent sur une scène dépouillée d’un gris-noir métallique, avec pour seul élément architectural un escalier blanc – qui ne mène nulle part si ce n’est dans un vide existentiel ? Ce décor est structuré par des jeux de lumière qui donnent l’impression de sculpter l’espace en accentuant ou en faisant disparaître les reliefs. Sasha Waltz a une maîtrise hors pair des compositions de groupe, de leur éclatement en petites cellules dans l’espace, de leur recomposition dans des combinaisons inédites. La technique des danseurs s’exprime dans de petites fulgurances plus que dans de grands morceaux de bravoure. Ainsi, Kreatur n’a rien de spectaculaire a priori, jusqu’à ce que le regard soit frappé par la beauté ou la force d’une image qui se dévoile sous nos yeux.

No man’s land

Tout cela est très contrôlé et porté par une musique électro-acoustique créée par SoundWalk Collective à partir d’enregistrements de sons d’ambiance dans des sites industriels ou post-industriels en Italie, Allemagne et Russie. Ces paysages sonores remarquablement composés en trois dimensions – grâce à un dispositif installé en différents points de la salle – font planer une atmosphère froide et minimaliste sur la scène. En première partie de spectacle en particulier, la chorégraphie semble flotter sur un no man’s land sans perspective à laquelle se raccrocher. La lenteur des mouvements souligne ce sentiment d’apesanteur voire de déshumanisation qui contraste avec la chair bien visible des danseurs sur scène.

Le problème, c’est que l’attention du spectateur est elle aussi tentée de s’envoler. 90 minutes, cela peut paraître long lorsqu’il faut attendre le dernier tiers de la pièce pour que la vie semble reprendre le dessus. Les ruptures rythmiques ou mélodiques soudain s’expriment plus explicitement. On aura même la sensation d’être frôlé par des insectes bourdonnant tandis que les danseurs sur scène semblent se prélasser au soleil. Somme toute, les drôles de créatures que nous sommes finissent par atterrir.  Et nous tendre la main.

Marie-Laure Rolland

Les 12 et 13 décembre 2018 au Grand Théâtre de Luxembourg. Plus d’informations en cliquant ici.

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