Ce n’est ni un film sur la danse ni une comédie musicale. Pourtant, la danse est au cœur de The Beast in the Jungle, d’après le roman de Henry James (1903), coproduit au Luxembourg. Sarah Reynolds, membre du Nederlands Dans Theater pendant 15 ans, est l’une des têtes d’affiche de cette histoire d’amour hors du commun. Nous l’avons rencontrée avec Clara Van Gool, la réalisatrice.
Dans le film, Sarah Reynolds incarne May Bartram, une jeune femme qui entretient une relation étrange avec John Marcher (le danseur sud-africain Dane Jeremy Hurst). L’histoire débute à la fin du 19ème siècle dans le manoir de Weatherend, où les jeunes gens se retrouvent 11 ans après avoir fait une première fois connaissance. May se rappelle que John lui a confié un secret.
L’homme est persuadé qu’un événement aussi soudain que brutal va dévaster sa vie. Il vit dans cette angoisse. May décide de guetter avec lui cette « bête dans la jungle » qui risque de l’attaquer. Au fil des années et des décennies, elle comprend que cette bête sauvage est l’incapacité de John à l’aimer. Mais comment le lui faire comprendre ?
Élargir l’horizon du sensible
«Pour moi, le mouvement est l’essence du cinéma», dit la réalisatrice néerlandaise Clara Van Gool, lauréate d’un International Emmy Award pour le moyen métrage « Enter Achilles » (1997) et qui signe là son premier long métrage de fiction. « Ce film est le point d’aboutissement de toutes les expérimentations que j’ai pu faire depuis mes débuts en 1988 », ajoute-t-elle.
Elle a découvert Sarah Reynolds en la voyant danser pour le Nederlands Dans Theater. « Je recherchais quelqu’un qui puisse danser et dire des dialogues. Je lui ai proposé de collaborer à mon documentaire ‘ Voices of Finances’ mais j’avais déjà en tête ‘The Beast in the Jungle », dit la réalisatrice.
De son côté, Sarah Reynolds n’a pas hésité avant de relever le défi et ne le regrette pas: « J’ai découvert que j’aimais aussi travailler avec des textes. Le cinéma me permet d’aller au-delà de ce que j’ai expérimenté en Tanztheater. Même si je garde une approche intuitive des choses, cela me pousse plus loin dans l’intime, dans la confrontation avec moi-même», dit-elle.
Ce qui frappe dans «The Beast in the Jungle » est le regard très personnel de la réalisatrice sur les corps et les gestes, mais aussi sa manière discrète et sensible de placer sa caméra comme un troisième élément au cœur du duo May-John. Celle-ci semble par moment incarner la bête qui rode au-dessus de leur relation.
Le scénario est remarquable. Il est extrêmement précis tout en bousculant sans arrêt les repères. Un peu à la manière des comédies musicales – les chansons en moins – le film est construit avec des séquences dialoguées qui glissent par moment dans des passages chorégraphiées. Le montage du film rend le procédé naturel pour une mise en situation de personnages tout à fait artificielle.
L’atmosphère très particulière, presque hors sol de ce film pourtant très incarné, tient aussi au brouillage des repères spatio-temporels. Clara Van Gool est restée fidèle à l’histoire de Henri James mais a choisi d’étirer l’action de la fin du 19ème siècle jusqu’à nos jours. On y retrouve entre autres dans le casting la danseuse luxembourgeoise Sylvia Camarda en femme fatale – un rôle qui lui est familier – que John croit aimer. Les décors et costumes changent mais pas le visage des personnages, dont on n’entend que la voix off. Le spectateur finit par s’y perdre. Cela peut agacer ou au contraire inciter à se focaliser sur ce qui se noue entre les deux protagonistes.
La recherche de l’essentiel
«Nous avons travaillé les séquences de telle manière que la danse renforce l’intensité du texte, qu’elle fasse émerger ce qui se passe entre les personnages », explique Sarah Reynolds qui révèle dans ce projet un vrai talent d’actrice au-delà de sa performance de danseuse. Elle donne corps à une jeune femme énigmatique et sensible, fidèle et libre à la fois.
Avant le tournage, il y a eu trois semaines de travail en studio avec le partenaire de longue date de Clara Van Gool, Jordi Cortés Molina. « Il a défini l’intensité de chaque scène du scénario. Sur cette base, nous avons fait des recherches sur un langage chorégraphique. Progressivement, nous nous sommes concentrés sur quelques mouvements essentiels », confie la danseuse. Le principal défi était de « rendre sensible la barrière invisible entre les personnages ».
Il s’agit de la deuxième collaboration entre Clara Van Gool et Sarah Reynolds, après le documentaire « Voices of finance », mais probablement pas la dernière à entendre les deux partenaires qui espèrent pouvoir continuer leur route ensemble.
Marie-Laure Rolland