Un BOLERO et autres « petits riens »

par Marie-Laure Rolland

Des pièces de Jean-Guillaume Weis et Jill Crovisier étaient à l’affiche d’une soirée dédiée à la danse-théâtre organisée au Trifolion d’Echternach. Le programme, « inédit », était aussi inégal.

par Marie-Laure Rolland

L’exercice du spectacle de format court a quelque chose de redoutable pour les artistes. En quelques minutes, il faut parvenir à faire entrer le spectateur, pris à froid, dans un monde qui lui était totalement étranger quelques instants plus tôt. Cela impose une idée et une esthétique fortes mais aussi une qualité d’interprétation qui ne peut pas se permettre le doute. La soirée organisée au Trifolion en aura fait la démonstration.

Schizophrénie

La pièce la plus aboutie était le BOLERO de Jill Crovisier, où la chorégraphe poursuit son travail d’exploration du corps aux prises avec les tensions de son environnement. Son solo, porté par l’iconique musique symphonique de Ravel, s’appuie sur un dispositif scénique minimaliste – un carré blanc au sol sur fond noir. Elle y développe un concept chorégraphique aussi simple qu’efficace. Le danseur est chaussé de patins à roulettes qui soulignent sa volonté de rester dans la course du monde, en même temps que sa vulnérabilité – face au rouleau compresseur musical qui s’annonce.

La gestuelle, répétitive et suggestive, avec ses va-et-vient entre le sol et la station debout, son travail du haut du corps, se colore à mesure que la musique se déploie. Le cadre est extrêmement précis tout en laissant une grande liberté d’interprétation, comme le prouve la version très différente de Victoria Tvardovskaya que j’ai vue en 2021. L’athlétique et talentueux William Cardoso, qui avait déjà créé la pièce en 2020, en a présenté ici une version d’une grande intensité, presque schizophrène. J’y ai lu une tentative d’ « empowerment », de « virilisation » tout d’abord gratifiante puis de plus en plus délétère, jusqu’à clouer le danseur à terre.

Avatar

Les tensions sont aussi à l’œuvre dans le solo JC Sound 1, issu d’une recherche réalisée par Jill Crovisier avec le musicien Damiano Picci. Sur scène, le personnage vêtu d’une longue robe moulante fait un peu figure d’avatar futuriste de Jill Crovisier. Perdu dans les abysses sonores du monde digital, elle semble lutter pour ne pas y perdre pied malgré les bugs dans sa programmation. Sa gestuelle se délite dans un discours totalement confus, haché, survolté, ponctué de stéréotypes vidés de sens, une comédie grinçante où remonte à la surface une quête désespérée de reconnaissance.

La maîtrise gestuelle et expressive de Jill Crovisier est impressionnante mais j’ai préféré la version présentée au TROIS-CL, où un dispositif scénique moins théâtral, plus proche du spectateur, interrogeait aussi en miroir l’ambiguïté de notre positionnement dans la partie qui se joue.

Réminiscences

A côté de l’intensité du discours de Jill Croviser, force est de constater que les pièces de Jean-Guillaume Weis ont fait pâle figure. En particulier la première à l’affiche de la soirée, intitulée Joy, qui met en scène le danseur contemporain Youri de Gussem et le danseur de hip hop Guerin Phan autour «des petits riens essentiels de la vie, du partage, de l’enfance et des rêves». Voilà une belle thématique mais elle est extrêmement vaste pour un format de 10-15 minutes. Cela peut vite devenir passe-partout.

Joy se développe à travers des interactions qui se veulent ludiques, des jeux de chaises assez convenus, quelques acrobaties ou démonstrations de hip hop, sans travail approfondi au niveau sonore ni véritable relief poétique susceptible de laisser les émotions se déployer. Les danseurs eux-mêmes semblent parfois se demander ce qu’ils font là.

Lisa, qui a clôturé la soirée, a été créée en hommage à la violoncelliste luxembourgeoise Lisa Berg, décédée en décembre 2017 à l’âge de 39 ans. Le choix de la danseuse Anna Senognoeva pour évoquer son souvenir est la belle surprise de cette pièce. Elle lui confère une délicatesse, une incarnation qui résonne bien avec le chant profond du violoncelle. Quelques passages en trio avec Youri de Gussem et Malcolm Sutherland touchent par leur fluidité, leur harmonie. Mais si cette pièce peut toucher les personnes qui ont connu l’artiste et sauront y décrypter certains signes, le langage gestuel reste limité et les lignes chorégraphiques sont malheureusement trop répétitives pour maintenir l’impression de temps suspendu et d’incandescence d’une vie trop tôt disparue.

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