Trois ans de résidence dans une institution culturelle, voilà une opportunité exceptionnelle pour de jeunes artistes. À la Kulturfabrik d’Esch-sur-Alzette, c’est le duo Sandy Flinto et Pierrick Grobéty qui s’est vu remettre les clés du studio de travail sous les toits. Leur première création, qui vient d’être présentée, témoigne d’une belle énergie mais aussi d’une marge de progression pour les deux prochaines années.
D’une certaine manière, on peut dire que le titre de la création a été respecté à la lettre. Vanitas – Live fast, never digest est une pièce multidisciplinaire où il est question de l’angoisse de la mort que l’homme contemporain tente de conjurer en poussant toujours plus loin ses exploits physiques, scientifiques ou technologiques. Dans cette course effrénée contre le temps qui passe, il n’a plus vraiment le temps de réfléchir au sens de sa vie. Ce qui le conduit à l’absurde : par crainte de la mort, il ne vit plus. L’homme finit par être submergé par ce trop-plein qui l’environne, impossible à digérer.
Telle pouvait précisément être l’impression du spectateur à l’issue d’une pièce difficile à absorber tant elle nous submerge de sons, de mots, de lumière, de danse. Le tout sans réelle échappatoire pour le spectateur, qui est comme gavé par ce flux qui se déverse sur lui.
Peut-on dire qu’en ce sens le but est atteint ? Pas vraiment, car cet effet de saturation ne s’accompagne pas d’une plongée en profondeur dans le sujet. Dans cet exercice trop contrôlé, les respirations sont rares. Le résultat est plutôt de contenir les sensations à la surface.
Patchwork décousu
La pièce est un tableau vivant où s’activent, indépendamment les uns des autres, différents éléments. On y voit un joggeur qui court du début à la fin sur un tapis roulant (Nicolas Schneider), un tatoueur en plein travail sur un client avec un dermographe dont résonne le bruit métallique et uniforme (Vince et Bruno Bazzuchi), un danseur (Stefano Spinelli), un acteur (Denis Jousselin), une violoncelliste-chanteuse (Valérie Stammet), un chanteur-compositeur (Arthur Stammet), sans oublier une machine musicale que l’on croirait sortie des premiers films de science-fiction.
Sur la scène relativement peu profonde de la Kulturfabrik, voilà qui fait beaucoup, d’autant qu’un voile transparent sépare l’espace entre une trop petite avant-scène (où évoluent le danseur et l’acteur), et une arrière-scène qui sert de toile de fond (avec les musiciens, la machine, le coureur et le tatoueur).
L’idée de combiner un casting aussi disparate était intéressante. Malheureusement, le manque d’interaction entre les protagonistes donne l’impression que ces moyens sont sous-exploités, plus décoratifs que véritablement pertinents.
La question du fond pose aussi question. Si Denis Jousselin interprète avec conviction son rôle de Frankenstein contemporain, le texte qu’il déroule ne brille ni par son originalité ni par ses qualités théâtrales. Les longues tirades sentencieuses sur le transhumanisme ou le dérèglement climatique lassent assez vite.
On retrouve avec plaisir dans la pièce le danseur Stefano Spinelli, en excellente forme, mais son personnage en pointillé manque d’un fil dramaturgique clair. Le faire passer par une succession d’états émotionnels n’est pas suffisant pour parvenir à nouer les fils de ce patchwork qu’est Vanitas. Live fast, never digest.
Soulignons aussi la belle performance du duo Arthur et Valérie Stammet sur une partition difficile perdue dans une sorte de brouhaha qui ne facilitait guère l’écoute.
En fin de compte, cette création souligne la difficulté à monter un spectacle pluridisciplinaire lorsque l’on ne maîtrise pas parfaitement ses différentes composantes. Sandy Flinto et Pierrick Grobéty auront peut-être été piégés par la mise à disposition de moyens trop importants au stade de leur développement artistique. Reste à savoir s’ils sauront digérer la leçon.
Marie-Laure Rolland