Comment Manuel Liñan pulvérise les stéréotypes

par Marie-Laure Rolland

Quelle fracassante entrée en matière pour l’édition 2018 du Flamenco Festival Esch! A l’affiche, Manuel Liñan, le lauréat 2017 du Prix National de la danse en Espagne. Sa pièce, Reversible, s’attaque frontalement mais avec sensibilité aux stéréotypes de genre entre hommes et femmes. Un grand moment de danse pour les aficionados du Flamenco qui auront pu apprécier comment on peut dépasser les codes sans les casser.

Il y avait foule au Théâtre d’Esch pour cette soirée du Festival qui aura autant surpris que conquis le public. Nous étions là non pas dans le Flamenco traditionnel, mais dans une démarche qui vise à mettre la tradition au service d’une expression en prise avec le monde d’aujourd’hui.

Le spectacle est une introspection personnelle au cours de laquelle le danseur et chorégraphe s’interroge sur les conventions esthétiques et sociales dans lesquelles il a grandi. Cette réflexion se déroule parfois en solo, parfois en dialogue avec ses partenaires qui lui donnent la réplique. Aux côtés de Manuel Liñán, on découvre sur scène deux autres remarquables danseurs (Lucia Álvarez “La Piñona” et José Maldonado), un guitariste (Francisco  Vinuesa) et deux chanteurs (Miguel Ortega et David Carpio).

Au-delà des tabous

Manuel Liñan: « Reversible » (Photo: Marcos G Punto)

Dès le départ, la thématique est posée. Manuel Liñan, silhouette ronde et barbe courte, surgit vêtu d’une longue robe bata de cola noire.  Il nous projette dans son monde, enchaînant avec virtuosité les figures imposées de la gestuelle féminine, mais habité par une sorte de rage explosive. Sa robe voltige sous les coups de talon tandis que son châle se fait le prolongement d’une silhouette qui ose la sensualité et la rondeur. Le danseur, formé auprès de Manolete, Mario Maya et Javier Latorre, transpire littéralement la culture, la technique et le duende, dans un style subtil et recherché.

Le spectacle culmine lorsque tous les protagonistes se retrouvent sur une scène transformée en ring de boxe. Manuel Liñan échange sa place et son costume d’homme avec Lucia Álvarez. Leur envoûtant duo se déroule au rythme de la guitare et le chant de « Carita de rosa » dont les mots nous disent: « Dis moi ce qu’il t’arrive / Que veux tu / Petite tête de rose / Que tu es, que tu es tant larmoyante / Dis moi qui va (te) guérir / Les blessures qui un jour t’ont fait danser / Dis moi qui suis-je / Si ta vie est ma vie / Et la mienne n’est déjà plus à moi ».

Incontestablement, Manuel Liñan et sa compagnie portent haut les couleurs d’une nouvelle génération qui sait repousser la technique de la danse Flamenco toujours plus loin, en développant la sensibilité et la sensualité mais sans perdre en musicalité.

Jil Kelhetter (avec MLR)

A noter que le Flamenco Festival Esch se poursuit jusqu’au 12 juin à la Kulturfabrik d’Esch-sur-Alzette, avec parmi les grands moments la venue de Eduardo Guerrero avec Desplante le 9 juin 2018.

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