C’est un jeune chorégraphe qui monte sur la scène de la danse contemporaine en Europe. Aussi la curiosité nous a entraîné jusqu’au Kinneksbond de Mamer pour découvrir deux pièces du répertoire de Jan Martens, dont un solo qu’il interprète.
Que peut encore faire un jeune chorégraphe pour sortir du lot aujourd’hui ? Tout n’a-t-il pas déjà été testé depuis une trentaine d’années ? Jan Martens n’échappe pas à ces questions qui obligent tout créateur à réfléchir à la manière dont il se pose en continuité ou en rupture par rapport au passé. Dans un manifeste publié sur son site internet, le chorégraphe dit clairement qu’il n’entend pas piétiner l’héritage. Il affiche sa liberté de remixer l’existant, au gré de son impulsion et en toute liberté.
Les deux pièces qu’il a présentées au Kinneksbond en sont la manifestation. Très différentes dans la forme, elles se rejoignent par une même intention de surprendre le spectateur par une succession de ruptures improbables, en jouant sur l’humour et les effets de décalage.
Cela fonctionne assez bien dans la première pièce programmée ce soir-là, Sweat Baby Sweat, qui date de 2011. Cette exploration de la relation amoureuse, interprétée par Kimmy Ligtvoet et Steven Michel, démarre par une fascinante première partie durant laquelle les deux interprètes dansent une sorte de duo amoureux qu’aurait pu imaginer Merce Cunningham. Ils évoluent au ralenti dans une succession de portés réciproques, sans exprimer le moindre sentiment sur leur visage ou érotisme dans leur posture. L’émotion jaillit de la ligne mouvante des corps qui ne font qu’un, dans un jeu subtil de bascule des équilibres, sur fond de musique électroacoustique minimaliste et d’écran sur lequel s’affiche l’intention – «As long as you are here, I am too ».
Tout n’est pas parfait. Le replacement parfois maladroit des pieds ou le tremblement des muscles témoigne de l’intensité physique de la performance. À moins qu’il ne s’agisse là d’une imperfection intentionnelle, d’un pied de nez au maître américain ? Rétrospectivement, on peut s’interroger. Puisque tout est permis.
Le principe de décalage
Après une première boucle, la même chorégraphie est reprise tout aussi lentement, sur une musique teintée cette fois de lyrisme. La routine s’installe mais on entre dans une sorte de phase de dégel qui trouve son accomplissement dans un baiser. On se rappelle de la scène de l’envol dans Le Parc de Preljocaj, ou de celle du baiser dans Rain de Bernard Baumgarten. Mais chez Jan Martens, le romantisme cède la place à l’acrobatique. Il s’agit plutôt d’une phase d’accrochage des interprètes au point d’intersection de la bouche, avec force postures improbables.
Le chorégraphe pousse l’effet de décalage un cran plus loin dans un troisième temps de sa chorégraphie. On est dans « Les liaisons dangereuses » en mode potache. Revenus au sol, les amants vont s’éloigner l’un de l’autre sur fond de mélodie romantique qui vire au gag, les paroles de la chansonnière contredisant celles qui s’affichent en fond de scène. Une scène de rupture dilatée jusqu’à l’exaspération du spectateur. Ce n’est pas une happy end mais, après 60 minutes, qui s’en soucie encore?
Génération TED
La deuxième pièce, The Attempt, est divertissante mais beaucoup moins convaincante. On est dans le format de la conférence, assez prisé chez les chorégraphes de la génération TED. Dans ce solo, Jan Martens s’adresse directement aux spectateurs pour leur expliquer comment il va créer une pièce. Il nous entraîne dans son atelier où figure en bonne place l’incontournable ordinateur Mac relié à un système de rétroprojection. De là, il peut puiser dans sa playlist, s’inspirer de sa galerie de selfies, façonner les décors visuels qui s’afficheront sur l’écran en fond de scène. Quelques mots clés, quelques gestes inspirés du quotidien, quelques variations de style, une bonne dose d’humour et l’affaire est jouée en 30 minutes. Vraiment ?
Dans le genre, on avait largement préféré la pièce Like de la jeune chorégraphe espagnole Núria Guiu Sagarra, que l’on avait pu découvrir dans le cadre du festival Aerowaves à Neimenster en septembre 2019. Là aussi, la surprise et l’humour étaient au rendez-vous. Mais pour ciseler, à travers un langage corporel très travaillé, un discours autrement plus incisif sur notre environnement contemporain.
Marie-Laure Rolland