La chorégraphe Blanca Li revient au Grand Théâtre de Luxembourg avec une invitation à entrer dans son «Bal de Paris». Cette immersion en réalité virtuelle est une « expérience » hors norme qui en met plein la vue et les autres sens.
par Marie-Laure Rolland
Ce bal débute comme une expédition en terre inconnue. Dix personnes sont réunies dans un espace de 100 mètres carrés. Un technicien aide à s’harnacher de huit kilos de matériel : batteries, ordinateur et capteurs stockés dans un sac à dos, fixés au bras et aux jambes, sans oublier le casque de réalité virtuelle à ajuster correctement sur le visage pour obtenir une vision nette de son environnement.
Une fois l’équipement mis en place, on entre dans un nouveau monde. D’emblée, on oublie l’espace étriqué du « réel » pour basculer dans un monde « virtuel » féérique. Coiffés d’un masque d’animal qui figure notre avatar, nous sommes invités à choisir dans un vestiaire une robe de bal ou un smoking – petit frisson d’excitation à se vêtir en Chanel, partenaire du projet ! – et à suivre notre guide jusqu’au bal.
Là nous attend Adèle, dont les – apparemment richissimes – parents ont organisé une fête en l’honneur de son retour d’un long voyage. Mais voilà qu’un hôte imprévu, Pierre, s’invite dans la partie. Derrière leurs avatars, il y a deux danseurs de la compagnie de Blanca Li qui nous proposent de les suivre.
Passés les premiers tâtonnements pour prendre possession de son espace et de celui de ses voisins, on est prêt pour entrer dans la danse. Les mains virtuelles nous permettent de nous reconnecter aux mains réelles de nos partenaires. C’est l’une des originalités de ce projet, coproduit par la société luxembourgeoise Fabrique d’images grâce au soutien du Film Fund, et distingué par le Prix de la meilleure expérience VR interactive à la Mostra de Venise en 2021. Pour moi, l’aventure s’est déroulée sans encombre, si ce n’est le moment où j’ai senti des mains bidouiller mon sac à dos (apparemment pour vérifier les batteries).
Cette interactivité se déroule sur la trame d’une histoire assez mélo, tracée dans les grandes lignes pour tenir dans les 35 minutes de l’expérience VR. On n’est pas dans du Shakespeare… En revanche, ce qui impressionne est l’univers visuel avec des décors plus somptueux les uns que les autres dans lesquels on pénètre en empruntant une succession d’ascenseurs ou de tapis roulant, de bateau et de train. On sent le souffle du vent, le parfum des fleurs, l’accélération des moyens de locomotion, le vertige des perspectives. La création musicale de Tao Gutierrez est à l’unisson.
Blanca Li propose ici clairement une vision fantasmée de Paris. La fête a des allures de bal viennois qui se serait délocalisé au bord du Lac de Côme. Une escapade dans les jardins nous ramène du côté des bosquets de Versailles. La happy end se déroule dans un cabaret bien parisien cette fois.
Grand écart
« La danse a son public. Elle n’a pas besoin de ce type d’expérience virtuelle pour exister. Mais ce projet est une nouvelle manière pour raconter et pour faire participer le public, qui m’intéressait », m’a confié Blanca Li dans les coulisses du Grand Théâtre de Luxembourg le soir de l’avant-première. Elle est venue veiller à la bonne mise en place d’un dispositif technologique extrêmement exigeant, qu’elle a mis trois ans pour développer avec ses partenaires, et qui a mobilisé d’énormes moyens financiers.
Le résultat est à la hauteur. Mais on peut se demander quel est l’avenir de ce genre d’ « expérience » soutenue – parce qu’on n’arrête pas le progrès – par des financements publics autant que privés. Est-ce un signe des temps : on voit le monde virtuel Meta de Marc Zuckerberg vaciller face à des contraintes financières et techniques sous-estimées, mais aussi un public saturé d’écrans qui commence à ouvrir les yeux sur l’impact environnemental colossal des nouvelles technologies (ce que viennent rappeler les 8 kilos de batteries et autres équipements pour entrer dans le Bal).
En 2018, au moment même où elle commençait à travailler sur ce projet, Blanca Li avait présenté sur cette même scène du Grand Théâtre « Solstice », une très belle pièce dédiée à l’urgence climatique. Drôle de grand écart…
« Le Bal de Paris » de Blanca Li est à voir du 28 décembre 2022 au 7 janvier 2023 au Grand Théâtre de Luxembourg. Première séance à 11 heures, dernière à 21h45. Durée totale 1h15. Plus d’infos en cliquant ici.