«Je ne suis pas quelqu’un qui parle très bien. C’est par la danse que je sais m’exprimer». Nous retrouvons Georges Maikel Pires Monteiro au Centre de création chorégraphique de Luxembourg. La répétition du solo qu’il danse cette semaine au Mierscher Kulturhaus vient de s’achever. Il a accepté notre demande d’interview mais, au fond du regard de cette personnalité chaleureuse, s’échappe un soupçon d’angoisse à l’idée de parler de son travail. Et s’il n’y parvenait pas ? Le doute est là, comme il est au cœur de !MAKKI?!, sa nouvelle création dont précisément il va être question.
La pièce était l’un des temps forts de l’édition 2018 des Émergences du Centre de création chorégraphique de Luxembourg, qui présente le travail de jeunes chorégraphes. À tel point que la directrice du Mierscher Kulturhaus, Karin Kremer, n’a pas manqué de le programmer pour sa soirée annuelle dédiée à la création luxembourgeoise. Le danseur y exprime les affres du doute avec lequel il doit vivre dans son travail d’artiste, doute qui le torture, l’entrave, le force à se métamorphoser pour trouver des échappatoires et pouvoir s’exprimer.
La magie de la danse
Le chorégraphe a puisé dans son parcours personnel pour construire cette histoire «où tout et rien n’est réel». Il n’en dira pas beaucoup plus sur ce qu’il a découvert au fil de ce travail sur lui-même qui l’a fait remonter jusqu’à l’enfance. La danse expressive et sensuelle de Georges Maikel Pires Monteiro masque une grande pudeur chez ce trentenaire né au Luxembourg en 1988 au sein d’une famille d’origine cap-verdienne. « Mes parents ne connaissaient pas le monde de la danse et, parmi mes cinq frères et sœurs, seul mon grand-frère dessine et connaît le monde de l’art. Cela étant, mes parents m’ont soutenu lorsque s’est précisé mon projet d’étudier la danse au Conservatoire de Luxembourg puis d’en faire ma profession ». Entre-temps, la famille a vu un autre membre se lancer avec succès dans une carrière artistique : le musicien et performeur EDSUN (de son nom civil Edson Pires Domingos). Celui-ci a collaboré à la création de !MAKI?! pour la vidéo, la voix off et le chant. Il partage avec son cousin une même passion pour la musique et la performance.
Pourquoi la danse ? Georges Maikel Pires Monteiro se rappelle ses dix ans, lorsqu’il regardait sa grande sœur se préparer à aller en boîte de nuit. Magnifique et magique. Voilà qui lui donne envie de l’imiter. Le pré-ado regarde des clips vidéos. Le hip-hop a traversé l’Atlantique et est arrivé jusqu’au Luxembourg. Son apprentissage se fait en autodidacte avant qu’il n’intègre, à 18 ans, le Conservatoire de Luxembourg. Il y reste cinq ans, le temps de boucler son diplôme supérieur en danse Jazz en 2012. Là, il découvre la danse contemporaine avec le chorégraphe d’origine brésilienne Moa Nunes. Une révélation. «J’ai compris que l’on pouvait aller beaucoup plus loin dans les émotions et le ressenti que les clips commerciaux à l’américaine », dit-il.
Retour au réel
Vient ensuite un approfondissement de sa formation au sein du SEED, un master professionnel encadré par la CobosMika Dance Company en Espagne. Il débarque à Palamos avec sa compatriote Piera Jovic, une expérience qui va leur inspirer leur première création conjointe, Fest (2015). Sortis du cocon luxembourgeois, les voilà confrontés à la concurrence de danseurs de très haut niveau venus des quatre coins d’Europe: « J’ai été impressionné par les danseurs du conservatoire de Barcelone. Je me suis dit qu’il allait falloir bosser !», confie le danseur.
Les efforts paient puisque, dans la foulée, Peter Mika lui propose de participer à deux spectacles, Choice et Wish. Une étape de consolidation des acquis avant de revenir comme danseur au Luxembourg et dans la Grande Région. Il danse dans des pièces de Julien Ficely (Souvenir d’un faune, 2016), Léa Tirabasso (Toys, 2017), Jennifer Gohier et Gregory Beaumont (Leave, 2018).
Une force qui le dépasse
Dans ce parcours, l’envie de créer ses propres pièces est arrivée assez vite. Trente ans, n’est-ce pas un peu jeune pour se lancer dans la chorégraphie ? «J’ai beaucoup d’imagination. Je suis toujours en train de me raconter des histoires qui me viennent à tout moment dans la journée. C’est sans doute une manière d’oublier la vraie vie ».
Cette imagination débordante féconde allègrement son inspiration : « Je la laisse venir à moi. Elle est partout. Dans un film que je regarde, un paysage, une rencontre avec des amis, une ballade dans la rue », dit-il en agitant ses mains et ses yeux comme pour figurer les images qui trottent dans sa tête. Celles-ci s’assemblent en histoires qui donnent naissance au mouvement. De manière irrépressible. « Il m’arrive de mettre mon linge à laver dans la machine et de faire un grand jeté. Ou de me lever pendant que je visionne un film pour faire des pas de danse. C’est plus fort que moi !»
Et puis, il y a la musique. Incontournable dans son processus créatif. «Je pars toujours d’une création musicale. Il est important pour moi d’avoir la musique qui porte l’idée, l’âme de la pièce ». Pour !MAKKI?I, il a trouvé ce matériau dans sa collaboration avec le compositeur Eric G Foy dont la musique électro-acoustique fait écho à l’histoire qu’il nous raconte sur scène. Ce récit qu’il nous invite à « regarder et écouter » est comme une parenthèse hors du temps mais aussi une forme de miroir qu’il nous tend.
Marie-Laure Rolland
Soirée « Deux fois danse » le 25 octobre 2018 au Mierscher Kulturhaus: !MAKKI?! de Georges Maikel Pires Monteiro et LEAVE de Jennifer Gohier et Grégory Beaumont. Plus d’informations en cliquant ici.