Jill Crovisier et Rhiannon Morgan : paroles de danseuses déconfinées

par Marie-Laure Rolland

Au Centre de création chorégraphique de Luxembourg (TROIS-CL), l’activité reprend doucement depuis le début du mois de juin. Nous y avons retrouvé les danseuses et chorégraphes Rhiannon Morgan et Jill Crovisier. Elles racontent comment elles vont vécu leur confinement, entre le 16 mars et le 25 mai 2020, sur fond de pandémie de Covid-19.

«Je vis toujours au jour le jour, sinon j’angoisse», dit Rhiannon Morgan. «Pendant le confinement, j’ai eu l’impression d’être dans un trou, avec personne pour m’aider à en sortir. Aujourd’hui heureusement, on voit quelques initiatives se mettre en place, cela donne de l’espoir», dit Jill Crovisier. Depuis le 16 mars, la plupart de leurs projets ont été annulés ou sont en suspens.

La rencontre se déroule à la Banannefabrik, un ancien dépôt de bananes qui abrite le Centre de création chorégraphique du Luxembourg (TROIS-CL). Le lieu, en cette fin de semaine, est quasi déserté. Quelques personnes travaillent en silence dans les bureaux de l’administration, à l’étage. Les cours de danse pour professionnels ou amateurs n’ont pas repris. Il n’y aura pas de spectacle avec accueil du public avant le 3 septembre. D’ici là, les rendez-vous du 3 du Trois se déroulent en ligne sur internet. Des rubans barrent l’accès aux livres de la bibliothèque. À l’extérieur, la vie semble reprendre ses droits mais, pour les artistes, il va falloir patienter.

Les danseuses ont dû signer un protocole pour avoir accès à l’un des trois studios abrités dans la structure. Elles s’engagent à respecter les mesures barrières contre la pandémie de Covid-19. Cela signifie qu’elles doivent travailler seules. Les danseurs en couple peuvent s’entraîner en binôme. «On ne peut même pas avoir un musicien ou un assistant technique dans la salle. On se retrouve confiné en studio. J’aurais aimé avoir un autre corps dans l’espace, un échange pour relancer une dynamique», observe Rhiannon Morgan.

Après les dernières annonces relatives au déconfinement, le Centre chorégraphique a fait une demande aux instances compétentes pour voir les mesures d’accès aux studios assouplies. Faute de réponse, rien de change jusqu’à nouvel ordre. Sans surprise, les danseurs ne se sont pas précipités pour occuper les studios. «Difficile d’être motivé quand on ne sait pas à quel moment on pourra revenir sur scène, ni pour quel projet», commente le directeur du TROIS-CL, Bernard Baumgarten.

Stoppée en plein envol

2020 devait être l’année de la consécration pour la lauréate du Lëtzebuerger Danzpräis, Jill Crovisier. Du fait du Covid-19, elle a vu 27 représentations annulées entre le 30 mars et le 30 juillet. Bonne nouvelle: sa participation au Festival off d’Avignon, avec son solo Hidden Garden, est reporté à 2021. En revanche, elle n’a guère d’espoir de reporter sa résidence de création pour les élèves de l’Institut de danse contemporaine de la Folkwang Universität der Künste de Essen, où elle était invitée du 30 mars au 20 juin 2020.  «En apprenant ça, je dois dire que j’ai pleuré. Cela faisait un an que je m’y préparais. C’était un rêve qui se réalisait», confie la chorégraphe. Cette institution est mythique. Elle a été créée par l’un des pères de la danse contemporaine, le chorégraphe Kurt Joos. Pina Bausch y a été formée.

« Hidden Garden » de Jill Crovisier (photo: Boshua)

«C’est dur mais je relativise en regardant les ravages de la crise sanitaire dans le monde», dit l’artiste. «Au Luxembourg, nous avons la chance d’avoir été très vite soutenus financièrement par les aides spéciales du ministère de la Culture. J’ai des amis artistes à l’étranger qui ont tout perdu, qui n’ont même plus la possibilité de payer leur logement».

Elle reconnaît aussi que l’épreuve du confinement a eu des aspects positifs. «Soudain, je n’ai plus ressenti de pression. Il y a eu un relâchement. Mes maux de tête ont disparu» dit celle qui avait auparavant l’impression de sauter d’un avion à l’autre. Elle a pu peaufiner son site internet, mettre à jour son administration, travailler sur un projet de vidéo-danse qui a été sélectionné dans un festival à Taïwann. «C’était une petite chose mais vu le contexte, cela m’a fait du bien».

La force du collectif

Rhiannon Morgan rentrait pour sa part d’une résidence de création à Strasbourg lorsqu’elle a dû se confiner chez ses parents, au Luxembourg. Son premier solo, AdH(A)rA, devait être présenté le 3 avril. Il est reprogrammé le 3 décembre au TROIS-CL. «Jusqu’en septembre, je n’ai plus rien à l’agenda», déplore celle qui devait participer, entre février et septembre, à un programme d’accompagnement au sein du projet Premier(s) Pas  de la compagnie La Baraka, basée à Annonay en France. Des rendez-vous sur Zoom ont permis de garder le contact.

Le TROIS-CL a de son côté proposé aux danseurs et chorégraphes luxembourgeois une mise en réseau avec les professionnels de la Grande Région, lors de webinaires de formation ou d’échanges.

Rester en forme, malgré tout, était l’un des impératifs pour les danseurs pendant le confinement. Pour ne pas s’enfoncer dans le blues, Rhiannon Morgan a lancé avec le collectif de danseurs LUCODA un programme de cours donnés gratuitement en ligne pendant cinq semaines. «Cela nous a permis de garder une dynamique, de rester connectés d’une autre manière autour de la danse ». Elle s’est entraîné trois à quatre heures par jour, entre yoga, abdominaux, barre classique. Avant de sortir respirer en forêt du côté de Strassen, où elle n’était pas la seule à vouloir faire le plein d’oxygène. «C’était «rush hour», témoigne-t-elle.

Rhiannon Morgan au TROIS-CL (photo: Boshua)

Rester en mouvement

À Rumelange, les journées de Jill Crovisier se sont organisées autour de deux heures de jogging en forêt le matin, 40 minutes de barre classique-cardio-abdos puis une heure de promenade l’après-midi. Comme elle «adore les sports de balle», elle a remplacé la promenade par du tennis depuis le déconfinement. «La danse contemporaine ne nécessite pas le même entraînement que la danse classique. L’important est de ne pas perdre trop de muscles. Sinon, on risque la blessure en cas de reprise rapide des activités».

Seule dans son studio, elle retravaille les trois solos à son répertoire: «Je me dis qu’ils pourraient intéresser les institutions culturelles dans les prochains mois». Et puis, elle se laisse inspirer par l’air du temps pour retranscrire ses émotions en mouvement. «Je sens que quelque chose d’énergique, d’explosif va ressortir de tout cela».  Pour peu que le coronavirus se tienne à distance, les scènes, longtemps à l’arrêt, promettent de nous faire vibrer à  la rentrée !

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