C’est toujours un plaisir de retrouver les incroyables danseurs du Nederlands Dans Theater. La jeune garde (NDT 2) s’est produite sur la scène du Grand Théâtre de Luxembourg avec trois pièces signées par l’incontournable Marco Goecke mais aussi Eward Clug ainsi que le jeune et talentueux Nadav Zelner.
par Marie-Laure Rolland
C’est peut-être le seul bémol de cette affiche mais j’ai quand même envie de commencer par ça : trois pièces signées par trois hommes ! Le NDT ne manque pourtant pas à son répertoire de pièces créées par des femmes, à commencer par sa directrice artistique, Emily Molnar, mais aussi Sol León, Crystal Pite, Gabriela Carrizo ou Sharon Eyal. Et puis la jeune génération regorge de filles qui ont des choses à exprimer. Alors au risque de paraître trop « politiquement correcte » dans le souci d’une meilleure représentativité des genres, c’est dit.
On objectera qu’il y a une cohérence dans cette programmation. Et c’est vrai qu’au-delà de leurs différences stylistiques, on sent des affinités entre ces trois personnalités qui ont déjà eu l’occasion de collaborer. Elles conjuguent la virtuosité et la puissance des corps pour créer des figures à forte charge émotionnelle, cela dans une même esthétique dépouillée.
Faire corps
Temps fort de la soirée, The Big Crying de Marco Goecke (*1972) en a mis plein les yeux et les oreilles (en convoquant entre autres la magnifique chanteuse Tori Amos).
Le chorégraphe a signé de nombreuses pièces pour le NDT auquel il est associé depuis 2013 – tout en étant actuellement directeur artistique du Ballet de l’opéra de Hanovre. Le langage chorégraphique du lauréat 2022 du Deutscher Tanzpreis est tellement spécifique que chaque pièce peut sembler un prolongement de la précédente, comme une conversation que le chorégraphe poursuivrait avec lui-même et avec ses danseurs. Dans ce long continuum, chaque pièce est une sorte de digression qui explore ce corps contemporain, hyper émotionnel, sur-stimulé, électrisé mais aussi entravé par son environnement.
Il y a une forme de pointillisme dans cette gestuelle extrêmement saccadée, décomposée en une infinité de variations qui se focalisent sur le haut du corps, jusqu’au bout des doigts et qui finit par former une « big picture ». C’est ultra rapide, mobile, précis, exigeant pour les 18 danseurs dont la prestation sur la scène du Grand Théâtre a été époustouflante de synchronisation et de finesse.
Ce qui m’a frappé dans The Big Crying est la mise en forme du phénomène d’attraction-répulsion, cette nécessité et difficulté de faire corps social en assumant sa propre identité. La tension du questionnement individuel se relâche dans les magnifiques solos, où peuvent se libérer les corps.
Sales gosses
Mon deuxième coup de cœur de la soirée est allé à Nadav Zelner (1992*), un jeune chorégraphe israélien. Sa Bedtime Story fait souffler un coup de vent frais et facétieux sur le plateau. Cela commence par un corps allongé au sol et se poursuit par l’intrusion d’une bande de sales gosses pas du tout prêts à aller dormir. Courses poursuites, contorsions en tous sens, sauts et portés s’enchaînent à haut tempo au rythme d’une bande son qui nous transporte dans un orient où s’inventent mille et une nuits festives. Une pièce à l’énergie contagieuse, où seule la création lumière n’est pas tout à fait au diapason débridé de l’ensemble.
Hypnose
Le tic-tac lancinant de la bande son de la pièce d’Edward Clug, Cluster, vient tenter de remettre les choses en place et calmer le jeu par son esthétique minimaliste. Si le début de la pièce m’a paru un peu trop convenu et lisse (un effet renforcé par les justaucorps couleur chair des danseurs), elle s’épanouit dans la deuxième partie. Les variations sonores de la musique de Milko Lazar, qui n’est pas sans rappeler celle de Steve Reich, semblent percuter les corps pour les pousser à trouver de nouvelles combinaisons, un peu comme des éléments d’un pendule de Jean Tinguely en constante recherche d’équilibre. Habile et assez hypnotique.