Le Grand Théâtre de Luxembourg a ouvert sa saison 2018-2019 avec un spectacle proposé par la Compagnie Nationale de Ballet de Lisbonne. Une affiche dont on pouvait se réjouir à double titre. D’une part car la danse portugaise est encore relativement peu visible au Grand-Duché alors que 16% de sa population est originaire de ce pays. D’autre part car la direction du projet est signée João Penalva, artiste auquel le Mudam vient de consacrer une exposition. On retrouve dans la pièce « Quinze danseurs et temps incertain» son art de prendre à partie le spectateur. Sans complètement y parvenir.
Le livret avertit d’emblée le public: il n’y a pas de dramaturgie dans cette pièce. Simplement une succession de tableaux dans lesquels chacun est invité à laisser voguer son imagination face au spectacle qui se déroule. Cela nous renvoie à Merce Cunningham, un parti pris que l’on retrouve aussi dans les justaucorps «académiques» blancs dont sont vêtus les danseurs. L’analogie pourtant ne tient pas plus loin car la liberté du spectateur trouve dans le projet de João Penalva et du chorégraphe Rui Lopes Graça ses limites. Parlons plutôt de liberté conditionnelle.
Au Mudam, le spectateur déambulait dans les salles du musée comme dans autant de décors de films dont il nous restait à écrire le scénario. Ici, les tableaux se déroulent face à un spectateur assis mais le procédé ne diffère guère. Seule la perspective est inversée.
Voyage sensoriel
Ce qui frappe est le contraste entre le cadre très suggestif et une écriture chorégraphique décontextualisée. La pièce débute avec un danseur seul sur une scène plongée dans la pénombre, avec en fond sonore une musique électroacoustique signée David Cunningham. Des coups de sirène peuvent évoquer le départ d’un bateau vers des horizons inconnus. C’est parti pour une heure de voyage balisé par des bruits de train, de forêt tropicale, de pluie, des échos d’usines ou de cloches. Cet environnement est souligné par les jeux de lumière de Nuno Meira, les effets de miroir en arrière-scène ou la brume au sol.
Très vite la scène se peuple d’autres danseurs, tous de blanc vêtus – avant qu’un élément perturbateur ne vienne ajouter une pointe de jaune. La gestuelle néoclassique est rapide, bondissante, précise. Le buste entraîne dans d’improbables contorsions le reste du corps. Les compositions savantes du groupe se doublent des reflets dans le miroir au fil d’une chorégraphie qui n’évolue que de manière imperceptible, sans lien évident avec l’atmosphère sonore.
En seconde partie, on observe toutefois que le corps de ballet, qui avait pris de l’ampleur au fil du temps jusqu’à réunir les 15 danseurs sur scène, se fragmente en petites cellules davantage différenciées jusqu’à laisser finalement un danseur seul sur scène, dos au public. Une manière de boucler la boucle.
Tout est ainsi extrêmement construit, trop peut-être pour que l’imagination réussisse à prendre complètement le pouvoir dans cette pièce parsemée de moments de grâce, en particulier lors des solos ou miniatures, mais aussi de longueurs dans l’effet répétitif des mouvements d’ensemble.
Marie-Laure Rolland